Turquie : le procès du KCK sous les projecteurs
Les avocats turcs Ayşe Acinikli et Ramazan Demir ont été libérés après quatre longs mois d’incarcération. Ils avaient été arrêtés en mars par les autorités turques avec sept autres avocats et 17 autres personnes, tous faisant partie de l’équipe de défense des 46 avocats turcs poursuivis depuis 2012 dans le cadre du procès dit du « KCK ». Le tribunal d’Istanbul a décidé la libération des accusés début septembre, en attendant la prochaine audience annoncée le 22 novembre prochain.
Dans un climat politique extrêmement tendu, la justice turque a décidé la libération de ces deux avocats estimés qui s’étaient spontanément présentés à la police par solidarité suite à l’emprisonnement de quatre de leurs confrères, tous avocats du barreau d’Istanbul. Heureux d’avoir retrouvé leur liberté physique, Ayşe Acinikli et Ramazan Demir restent interdits de sortie du territoire mais ils sont déterminés à poursuivre leur combat pour libérer leurs confrères membres de l‘« ÖHD », l’Association des juristes libres de Turquie.
Une vague d’arrestations massive liée aux principaux partis kurdes
Le 16 mars 2016, à l’aube, neuf avocats du barreau d’Istanbul parmi lesquels Ramazan Demir et Ayşe Acınıklı, ainsi que 17 personnes sont arrêtés et placés en garde à vue par la police après que leurs domiciles et leurs bureaux ont été perquisitionnés. Tous étaient membres du groupe de défense de 46 autres avocats turcs poursuivis depuis 2012 dans le cadre du procès du « KCK ». Ce groupe des communautés du Kurdistan, une organisation politique kurde émanant du « PKK » classée comme « terroriste » par Ankara.
Interrogés pendant 13 heures, ils avaient ensuite été relâchés, contre les réquisitions du procureur, par décision du tribunal. Leur maintien en garde à vue les avait toutefois empêché de remplir leur mission de défense des 46 avocats impliqués et le procès « KCK » avait dû être ajourné au 28 juin 2016.
L’imbroglio juridico-politique se propage rapidement jusqu’en France
Le 23 mars, le tribunal pénal n° 2 d’Istanbul – autre juridiction compétente – juge l’appel fondé concernant quatre avocats et décerne un mandat d’arrêt contre Ramazan Demir et Ayşe Acınıklı, ainsi que deux autres personnes, Hüseyin Boğatekin et Ayşe Başar, interpellés et mis en détention le jour même.
Le 6 avril, Ramazan Demir et Ayşe Acınıklı sont interpellés à leur tour et mis en détention, sous mandat. Le 28 avril, un réquisitoire à charge accuse les avocats de l’« ÖHD », l’Association des juristes libres, d’être « les relais de l’organisation du PKK en prison » et d’avoir « utiliser les avantages conféré par leur statut d’avocat à des fins d’espionnage ». Alors que le combat juridique s’intensifie, un mouvement de solidarité sans précédent s’organise depuis l’intérieur du pays avec des ramifications jusqu’en France, piloté par le barreau de Paris et qui sera rapidement relayé par nombres de blogueurs influents en Turquie.
Une hypermédiatisation qui devrait profiter aux avocats encore détenus
L’audience du 8 septembre a été suivie par de nombreux membres du Barreau européen et par des personnalités turques de premier rang parmi lesquels des députés et des responsables des droits de l’Homme en Turquie. En attendant la prochaine audience, prévue le 22 novembre prochain, ce petit monde s’agite pour libérer les avocats encore retenus, via des groupes d’action qui multiplient les initiatives : l’envoi de lettres à monsieur Recep Tayyip Erdogan ou à Jean-Claude Juncker, la saisie du rapporteur spécial du Haut-Commissariat des Nations unies, Mme. Monica Pinto, la mise en œuvre de plateformes participatives sur les réseaux sociaux ou encore des mobilisations tous azimuts des barreaux français et étrangers, de Madrid à Genève en passant par l’Amérique latine.
Les avocats en Turquie semblent être devenus les derniers remparts de la démocratie dans un pays en voie à une reprise en main brutale du gouvernement Erdogan après le coup d’Etat manqué de juillet 2016.
La justice turque prise en étau
Les autorités turques, qui musellent de plus en plus ouvertement la presse indépendante, cherchent à étouffer toutes les organisations de défense de journalistes et à barrer les avocats soucieux de préserver la liberté de la presse, en les empêchant de saisir la Cour européenne des Droits de l’Homme, l’autorité suprême pour rapporter les violations des droits de l’homme commises en Turquie.
Les autorités européennes apparaissent cependant très complaisantes dans ce dossier délicat, pour des raisons liées à la crise des réfugiés, et l’accord controversé signé entre l’Union européenne et la Turquie le 18 mars 2016, soit deux jours seulement après l’arrestation des avocats dont le sort devrait être fixé le 22 novembre prochain. Les associations d’avocats étrangers tentent de braquer les projecteurs sur ces procès à répétition qui entravent le bon fonctionnement de la justice turque sur des questions fondamentales à l’heure où le pays adopte de profonds changements politiques et sociétaux.