Les sœurs Papin, double assassinat au Mans
Le Mans, février 1933. Deux sœurs, employées comme domestiques, massacrent leur patronne et sa fille : un crime qui va défrayer la chronique dans la France de l’entre-deux guerres.
Jeudi 2 février 1933, 19 heures. En ce début de soirée d’hiver, la nuit a déjà recouvert la ville de Le Mans. Monsieur Lancelin, qui regagne son domicile, trouve la porte d’entrée fermée de l’intérieur. Il frappe : personne ne lui répond. Se reculant, il s’étonne de ne distinguer aucune lumière aux fenêtres de cette imposante demeure bourgeoise. Pourtant, sa femme, sa fille et les domestiques devraient être là.
A 20 heures, il appelle le commissaire Dupuis, qui le rejoint accompagné d’un greffier et de deux agents. L’un d’entre eux casse un carreau, pénètre dans la maison, et parcourt les pièces à la lueur de sa lampe torche. Dans les escaliers, le faisceau éclaire brusquement un œil reposant sur une marche, puis, quelques mètres plus loin, deux corps baignant dans une mare de sang. Il s’agit de Mme Lancelin et de sa fille, Geneviève, atrocement mutilées. Le meurtrier est-il toujours dans la maison ? Une pièce est fermée à clef, la chambre des bonnes, les sœurs Papin. Un serrurier est dépêché ; on les retrouve les deux femmes blotties l’une contre l’autre, vêtues d’un simple peignoir. Christine déclare : « je vous attendais ».
Bêtes enragées ou victimes de la lutte des classes ?
C’est le début d’un prodigieux emballement médiatique. Dès le lendemain, les journalistes se bousculent au Mans, une ville qui n’avait pas enregistré d’homicide volontaire depuis plus de deux ans. L’affaire fascine, par ses détails sordides, par la personnalité des deux prévenues, par la dimension sociale, aussi, de cette « illustration de la lutte des classes », comme le suggèrent certaines plumes[i]. D’autres, au contraire, qualifient les inculpées de « brebis enragées »[ii]. Mais le facteur politique semble, comme l’établira l’instruction, bien éloigné du mobile du crime. Qu’est-ce qui aura donc poussé les sœurs Papin à commettre un double assassinat aussi odieux, le médecin légiste parlant de « bouillie sanglante » à propos des cadavres défigurés ? Seront-elles considérées comme malades mentales et donc souscrites au procès ? Ou bien ont-elles agi en pleine possession de leurs moyens, et dans ce cas, avec quelle motivation ?
Des vies en huis-clos
C’est en 1926 que Mme Lancelin engage Christine, 22 ans, puis, deux mois plus tard, Léa, 15 ans. Pendant sept ans, les deux sœurs vont donner entière satisfaction à leur patronne. Leurs gages, assez élevés pour l’époque, leur permettent de se constituer un pécule appréciable. Les conditions imposées par Mme Lancelin sont néanmoins strictes et cette dernière n’hésite pas, à l’occasion, à user de punitions corporelles.
Dans cette ambiance pesante, les deux sœurs, qui pourtant disposent de temps libre, vivent cloitrées sans aucune fréquentation extérieure. Pas d’amis, pas d’amants. Les relations avec la mère, Clémence, sont rompues. Mais quelles relations ? Plaçant ses filles mineures comme domestiques et leur soutirant leurs gains, les changeant d’employeurs à son gré, cette mère, comme l’enquête le révèlera, a élevé ses filles sans leur offrir la moindre affection. Encore pire, le père, alcoolique, a abusé d’Emilia, la fille ainée, qui finira par trouver refuge dans un couvent.
Les apports de l’enquête
L’instruction est menée très vite, trop vite, selon certaines critiques, qui fustigent le manque de discernement et les approximations de l’enquête. Sept mois après le meurtre, le procès commence. On fouille dans le passé des prévenues, on y exhume les relations difficiles avec la mère, puis avec la maitresse de maison. Un fait troublant surgit alors : en aout 1931, les deux sœurs se sont présentées devant le maire, profitant d’une absence de leurs employeurs. Christine prend la parole et tient un discours décousu. Elle déclare qu’elles sont battues, séquestrées, et accusent le maire d’être complice. Le commissaire les reçoit à son tour, et s’effraie des propos délirants qui lui sont tenus. Prévenant M. Lancelin, il lui avoue : « si je puis me permettre, si j’avais des domestiques de ce genre, je ne les garderais pas longtemps ».
Le déroulé des faits
Une reconstitution est réalisée sur les lieux du crime. Il apparait que le jour du drame, un fer à repasser défectueux aurait fait sauter les fusibles de la maison, la plongeant dans l’obscurité. Rentrant chez elles, Mme Lancelin et sa fille auraient demandé des explications aux sœurs Papin, tout en leur tenant des propos désobligeants. C’est alors, imprévisible, que la violence déferle ; Christine saute sur Geneviève, lui arrache un œil, puis s’acharne sur Mme Lancelin. Léa s’engouffre à son tour dans ce maelstrom infernal, des couteaux sont à portée de main, ainsi qu’un pichet en étain, dont les coups répétés déformeront les visages des victimes. Fait notable : les coups mortels ont tous été portés par Christine, de même que la plupart des actes de mutilation qui ont suivi.
Le procès des sœurs Papin
Trois experts-psychiatres rendent leur rapport : la maladie mentale n’est pas envisagée. Au terme d’un procès qui n’aura duré qu’une journée, et malgré la défense énergique de leur avocate, Maître Germaine Brière, Christine et Léa sont reconnues comme pleinement responsables de leurs actes. Les jurés, tous de sexe masculin, rendent leur verdict après quarante minutes de délibération : peine de mort pour Christine, dix ans de travaux forcés pour Léa. Les deux sœurs auraient pourtant souffert de psychose paranoïaque, comme le démontre Jacques Lacan qui s’était penché sur leur cas. Leur passé familial, leur mode de vie reclus, les relations fusionnelles entre elles, la haine éprouvée pour Mme Lancelin auraient mené à commettre l’irréparable. Graciée par le président Albert Lebrun, Christine sombrera dans une folie profonde et mourra dans un asile en 1937. Léa, ayant purgé sa peine, finira par retrouver un emploi comme domestique, dans l’anonymat le plus total, sans jamais s’exprimer en public, et ce jusqu’à sa mort en 2001.
L’affaire Papin, exceptionnelle à plus d’un titre, aura inspiré bon nombre d’écrits et de films. Dès 1947, Jean Genet créé sa pièce « Les Bonnes ». Puis, le cinéma, en 1963 et jusqu’en 2000, année de sortie des « Blessures assassines », où Sylvie Testud interprète Christine. Ce qui démontre que l’histoire des sœurs Papin, qui aura bouleversé la France, continue toujours de fasciner.
[i] Notamment le journal l’Humanité, qui prend la défense des deux sœurs : « Ce procès ne devrait pas être celui des sœurs Papin toutes seules, mais aussi celui de la sacro-sainte famille bourgeoise au sein de laquelle se développent et fleurissent, quand ce n’est pas les pires turpitudes, la méchanceté et le mépris pour ceux qui gagnent leur vie à la servir. ».
[ii] Détective, 9 février 1933.