Roland Agret, présumé coupable
C’est une vie hors-norme que celle de Roland Agret. Une vie marquée par le sceau de l’injustice, mais aussi, et surtout, par la lutte acharnée qu’il consacrera non seulement à sa réhabilitation, mais aussi à celle de nombreuses victimes d’erreur judiciaire.
Roland Agret, 28 ans, vient de purger une peine d’un an d’emprisonnement pour avoir fait usage de chèques volés. Habitué aux petits larcins, le jeune homme flirte avec la délinquance, sans jamais franchir le cap du grand banditisme. A sa sortie de prison, il trouve une place de commercial dans un garage de la région nîmoise, tenu par André Borrel. Cette personnalité trouble, membre du tristement célèbre Service d’action civique (SAC), côtoie le « milieu » et semble alors impliqué dans de nombreuses affaires.
Agret, avec sa belle gueule lui donnant de faux airs d’Alain Delon, séduit Odile, la riche épouse du garagiste. Les deux amants prennent la poudre d’escampette au volant d’une voiture de sport « empruntée » au garage, sillonnant les routes et les hôtels de la Côte d’Azur. Pendant ce temps, André Borrel répète à qui veut l’entendre que Roland Agret doit mourir. Le drame est en train de se nouer.
Le coupable idéal
Lorsque, le 10 novembre 1970, les corps d’André Borrel et de Jean Moreno sont retrouvés, l’identité du suspect ne fait aucun doute pour les gendarmes : se sachant menacé, Roland Agret s’est débarrassé de son employeur ainsi que de son assistant. Arrêté et interrogé, Agret nie toute implication.
Les charges pesant contre lui sont d’ailleurs on ne peut plus minces : son alibi est certifié par des témoins, et le calibre de l’arme à feu retrouvée chez lui ne correspond pas aux douilles disséminées sur le lieu du crime. C’est donc pour port d’arme illégal que Roland Agret est incarcéré. Optimiste, il décide néanmoins de suivre le conseil de son avocat qui le persuade de se faire inculper afin d’avoir accès au dossier. Dès lors, la machine judiciaire est lancée, plaçant l’accusé au cœur d’un engrenage qui va briser sa vie.
Dans le même temps, un caïd local, Antoine Santelli, qui vient d’être arrêté pour une toute autre affaire, avoue avoir assassiné le garagiste ainsi que son assistant. Modifiant ses déclarations à chaque interrogatoire, il finit par accuser Roland Agret d’être le commanditaire du meurtre. Une version qui arrange les enquêteurs, toujours persuadés de la culpabilité d’Agret. A l’issue du procès, le verdict tombe : Roland Agret écope de 15 ans de prison, et ce malgré la faiblesse du dossier. C’est le début d’un long combat, qui ne s’achèvera qu’avec le décès de Roland, en 2016.
Le corps en otage
Comment se faire entendre une fois derrière les barreaux, alors que les condamnés plaidant leur innocence sont légion ? Agret choisit de s’infliger toutes sortes de mutilations, avalant des fourchettes, commettant plusieurs tentatives de suicide, et menant une grève de la faim qui le conduira au seuil de la mort.
Peu à peu, son cas interpelle, une mobilisation est organisée par des médecins, des avocats, des intellectuels. Le président Giscard d’Estaing décide en 1977, devant tant d’obstination, d’accorder une grâce médicale à Roland Agret. Mais ce dernier refuse de se satisfaire d’une mesure en demi-teinte : ce qu’il veut, c’est la révision de son procès, seule à même de l’innocenter complètement. Médiatisant son cas, il organise des happenings où il se mutile sous le regard des journalistes, se coupe un premier doigt qu’il envoie au directeur des affaires criminelles, et un deuxième destiné au garde des Sceaux. En 1983, de nouveaux revirements dans les déclarations de Santelli permettent une réouverture du dossier, se soldant enfin, en 1985, par un acquittement.
« Robin des lois »
Confronté de plein fouet aux dérives d’une justice parfois défaillante, Roland Agret va, le reste de sa vie durant, s’impliquer dans la défense des victimes d’erreurs judiciaires. Avec sa femme Marie-Jo, qu’il a épousée en prison et qui n’aura eu de cesse de le défendre, il fonde l’association Action Justice, qui s’occupera notamment des cas de Dany Leprince et de Jérôme Kerviel, leur prodiguant soutien et assistance face à une machine judiciaire qui peine parfois à reconnaitre ses erreurs.
Son acquittement, en 1985, n’était alors que le troisième, après ceux de Jean Deshays et de Jean-Marie Deveaux. Inlassable redresseur de torts, Roland Agret a écrit plusieurs ouvrages sur la Justice, des récits autobiographiques, a multiplié les interventions dans les medias tout en présidant son association. Il est décédé en 2016 à l’âge de 74 ans, la santé ruinée par ses années de détention et de lutte, mais libre. Et c’est bien là tout ce qui lui importait.