Mohamed Merah, parcours d’une violence annoncée
Il y a trois ans, la France était sous le choc en suivant durant dix jours l’itinéraire sanglant de Mohamed Merah. Cette affaire resurgit en insistant sur la trajectoire qui a conduit un citoyen à devenir assassin. Le massacre de Toulouse aurait-il préfiguré ceux de Paris ?
11 mars 2012 à Toulouse, un militaire est abattu d’une balle dans la tête. L’affaire Merah commence ce sinistre jour. Suivront onze jours de terreur pendant lesquels Mohamed Merah, un franco-algérien de 23 ans, tuera de sang-froid.
Le 15 mars, deux autres militaires sont tués à côté de leur caserne de Montauban. Un troisième militaire survivant a eu la moelle épinière sectionnée, il restera tétraplégique.
Le 19 mars, une journée d’école commence. Le tueur, équipé d’une caméra GoPro, gare son scooter devant l’établissement juif Ozar Hatorah. Immédiatement, il ouvre le feu dans la cour de l’école faisant quatre victimes.
Le 22 mars, Mohamed Merah se retranche dans son appartement toulousain. Après un siège de trente heures, le RAID met fin au dessein d’un tueur. Voulant s’échapper par le balcon, Mohamed Merah est à son tour abattu, « les armes à la main » comme il le souhaitait.
Un élève particulièrement doué
Selon la principale du collège, l’enfant Mohamed est un élève « particulièrement doué qui risque de se transformer en adolescent dangereux au vu de ses capacités intellectuelles ».
L’enfance de Mohamed Merah se construit dans un sentiment d’abandon lorsque son père quitte le foyer conjugal. Son frère Kader, mis en examen dans l’enquête, devient alors le modèle. En 2007, l’aîné est membre de la mouvance islamiste radicale, Mohamed le sera deux ans après.
Suivront d’autres révélations indiquant un enfant agressif à l’encontre d’une mère qui alertera les services sociaux à plusieurs reprises. Puis des fugues, des menaces de suicide, des placements en foyer le conduiront jusqu’à sa majorité et viendra la prison.
Fin 2007, à la suite d’un vol de sac à main, il est condamné à 18 mois de prison ferme. Selon le procureur de la République de Paris, François Molins, « c’est au cours de ses séjours en prison qu’il s’est radicalisé ».
En 2010, il souhaite s’engager dans l’armée, la Légion étrangère. Cet épisode restera sans suite. Selon son ancien avocat, « c’est à partir de ce moment qu’il se passe quelque chose ».
« Tu tues mes frères, je te tue »
Selon plusieurs témoignages, à partir de l’été 2011, Mohamed Merah voyage au Pakistan, de Lahore aux zones tribales. C’est là qu’il rencontre des djihadistes.
Surnommé « Yussuf », il refuse d’être initié aux explosifs préférant un entraînement rapide au maniement des armes. Dans un article de l’hebdomadaire l’Express du 9 janvier 2013, on apprend qu’il souhaitait mener sa guerre chez lui, à Toulouse.
Un an plus tard, c’est ici qu’il fera sa première victime après ces quelques mots : « tu tues mes frères, je te tue ».
Toujours selon l’Express, lors du siège du 22 mars 2012, il lancera aux forces de l’ordre : « je travaille avec Al-Qaeda. Et j’ai des supérieurs. J’opère tout seul. J’ai été entraîné par les talibans pakistanais. Voilà, y a toute une organisation derrière tout ça ».
Un environnement familial influent
C’est autour de Souad Merah, la sœur de Mohamed, que l’influence sera la plus forte. Celle-ci se radicalise dès 2000 en fréquentant les milieux salafistes toulousains. Elle fréquente régulièrement une communauté ariégeoise dirigée par un gourou d’origine syrienne qui deviendra son référent religieux. Elle se remarie avec un salafiste aujourd’hui écroué et mis en examen pour association de malfaiteurs.
Kader, le frère aîné, en détention depuis deux ans, a été le premier de la famille à être fiché par les services de renseignements et refuse toujours de condamner les actes de son frère cadet.
Dès 2010, Souad était repérée par les services de renseignements. Elle y est présentée comme une adepte d’un islam radical. Fichée, tous ses déplacements sont observés. Tout récemment, deux de ses quatre enfants âgés de 10 et 14 ans disparus depuis quatre mois, sont revenus à Toulouse en provenance d’Alger. C’est en Algérie que la mère résiderait à ce jour.
Dans ce clan où l’appel du djihadisme résonne, seul Abdelghani Merah aura essayé, en vain, d’alerter son entourage. Il a depuis fait l’objet de menaces de la part de sa propre famille et a publié un livre « Mon frère ce terroriste » chez Calmann Levy.
Une affaire qui fait écho aux événements de Paris
Bientôt trois ans que l’affaire Merah a eu lieu et de nouveau des actes se produisent à Paris. Le rapprochement entre ces deux faits est évidemment saisissant, les quatre meurtriers se revendiquant du Jihad. Comment ne pas y lire un écho à trois années d’intervalle ? Mohamed Merah, les frères Kouachi, Amedy Coulibaly, quatre parcours avec des histoires similaires où le départ dans la vie adulte devient le creuset d’une violence manipulée.
A chaque fois les mêmes ingrédients, des profils vulnérables aux vies chaotiques, une misère sociale qui sera exploitée par des organisations qui promettent « enfin » un statut idéologique en instrumentalisant le discours de la religion.
Dieu devient alors un « donneur d’ordres », un chef qui recrute une armée dans les rangs des oubliés, des ignorés. Rien à voir avec un désir spirituel où l’humain n’aurait de cesse d’évoluer dans la sagesse. Dans cette « caricature » divine, tout ce qui n’est pas soumission devient alors blasphème, le terreau un pays où l’assassin est promis aux plus hautes distinctions.
Quand on pose la question au neuropsychiatre Boris Cyrulnik de « comment expliquer une telle violence au nom d’une religion ? », ce dernier répond sans détour que « cela s’est déjà vu dans le passé. Cela existe depuis longtemps. On met la haine dans des quartiers en difficulté, on repère les enfants, on leur offre des stages de formation. Ce sont des groupes politiques qui utilisent le terrorisme comme une arme. Quand la haine est semée, on repère les enfants les plus faciles à fanatiser et on les envoie au sacrifice. Cette organisation est financée par les gens du pétrole et de la drogue, qui ont des intentions politiques sur le Moyen-Orient et l’Occident » et de poursuivre « l’Allemagne nazi était très cultivée, mais la base de la société ne l’était pas du tout. C’est exactement la même chose dans les pays du Moyen-Orient ».
Et demain ?
Il est fort à parier que rapidement le gouvernement se dotera de nouveaux moyens pour lutter contre le terrorisme, la sécurité sera renforcée à l’image de l’après 11-Septembre aux Etats-Unis. Si des réponses seront apportées en déployant un arsenal sécuritaire qu’en sera-t-il de celles à donner face aux racines d’un mal qui nourrit cette violence ? N’est-il pas urgent de « ralentir », de faire pause et de prendre au sérieux ces réalités humaines et sociales qui, en l’absence de véritables projets de vie, finissent par prendre comme modèle celui de la haine ?