Mirages de Taïwan, un contrat sous turbulences
Au début des années 1990, Taïwan représente un eldorado pour les fabricants d’armes. Engagé dans une course à l’armement provoquée par les tensions avec son voisin chinois possédant une réserve quasi-illimitée de devises, le petit Etat indépendant multiplie les appels d’offres afin de moderniser son armée et fait notamment confiance au complexe militaro-industriel français. Mais pots-de-vin, commissions occultes et rétro-commissions vont alors s’inviter à la table des négociations et changer le succès en scandale financier.
Un contrat à 3,47 milliards d’euros
Début des années 90. Désireuse de remplacer son parc de chasseurs devenus obsolètes, Taiwan se montre intéressé par les performances des Mirages français. La vente des avions est conclue en novembre 1992, pour un montant total de 22,8 milliards de francs, soit 3,47 milliards d’euros. Les 48 Mirages 2000-5Ei et les 12 Mirages 2000-5D seront construits par Dassault Aviation et Thomson-CSF, propulsés par des moteurs fournis par la Snecma et équipés de missiles Matra.
Les premières livraisons ont lieu dès 1997, permettant à la république de Chine de disposer d’une aviation moderne et opérationnelle. Une aubaine pour l’industrie militaire française qui avait, en 1991, conclu avec Taipei un autre contrat de grande ampleur portant sur la vente de six frégates furtives.
Scandale financier
Ce qui aurait pu constituer un beau succès pour le complexe militaro-industriel français va pourtant se transformer en scandale financier. Car, durant la décennie 2000, les pratiques françaises associées à la vente d’armement vont être peu à peu dévoilées mettant à jour de complexes réseaux d’intermédiaires, de juteuses commissions et rétro-commissions et de mystérieuses disparitions de témoins gênants. Il en va ainsi, pour ne citer que deux exemples, des sous-marins du Pakistan ou des Frégates vendues, là-aussi, à Taïwan. Concernant les Mirages, c’est le Yuan de contrôle, l’équivalent taiwanais de la Cour des comptes, qui a tiré la sonnette d’alarme en 2004. Procédant durant cette période à une vaste opération « mains propres », les autorités de Taipei ont remarqué que les 60 avions avaient été facturés non pas 3,47 milliards d’euros, mais 4,4 milliards, soit une augmentation de 25 % par rapport au contrat initial.
Frégates et Mirages de Taïwan : soupçons de commissions
L’affaire dite des « Frégates de Taïwan » a permis de lever le voile sur certaines pratiques obscures relatives aux ventes d’armes. Lors de la signature d’un contrat, de complexes réseaux sont mis en action afin de « mettre un peu d’huile dans les rouages ». Militaires, hommes d’affaires et même ministres sont gratifiés de mallettes plus ou moins conséquentes pour aider à emporter la décision. Parfois une partie de l’argent ainsi injecté est renvoyée sous forme de rétro-commissions utilisées pour l’enrichissement personnel ou pour le financement occulte de partis politiques.
Dans le cas des Mirages comme dans celui des frégates, un article du contrat interdisait tout versement de commission dans la conclusion de la vente. Tout porterait à croire, pourtant, que le milliard d’euros facturé en plus serait destiné à couvrir, justement, des commissions. La classification « secret défense » de nombreux documents relatifs au contrat ne permet malheureusement pas de lever le mystère sur cette affaire. Il semblerait néanmoins qu’un même intermédiaire, Andrew Wang, soit impliqué à la fois dans l’affaire des frégates et celle des Mirages. Aujourd’hui décédé, ce Taiwanais qui s’était réfugié à Londres aurait bénéficié de 260 millions de dollars de commissions.
Saisie de la Cour internationale d’arbitrage
Aiguillées par ces soupçons, les autorités taiwanaises ont menacé, dès 2010, de déposer une requête devant la Cour internationale d’arbitrage. Les réactions françaises ont été pour le moins mitigées. Dans un premier temps, et pour apaiser les tensions, des techniciens français ont été dépêchés à Taïwan afin de procéder à une série d’interventions sur les Mirages. Les réparations, révisions et inspections du matériel, qui se chiffreraient à dix millions d’euros, n’ont pas été facturées.
Le groupe Dassault a aussi proposé à Taïwan la vente d’avions Rafale. Une proposition qui était pour le moins incongrue dans le contexte actuel. La diplomatie française avait en effet promis à Pékin, ennemi juré de Taïwan, de ne plus vendre d’armes à cet Etat. De plus, aucun des gouvernements successifs n’a démontré de volonté particulière à dénouer l’affaire puisque le secret-défense a été maintenu malgré l’enquête initiée par le juge Renaud Van Ruymbeke.
Une addition qui pourrait se montrer salée
A combien pourrait donc se monter une éventuelle amende sanctionnant les pratiques françaises ? Au milliard d’euros de dépassement du contrat initial devraient s’ajouter des frais de dossier et d’enquête, soit une somme totale avoisinant les 1,5 milliards d’euros. Si la commission d’arbitrage ne devrait pas se prononcer avant 2020, la menace d’une lourde pénalité financière plane sur les entreprises d’armement françaises ayant participé à la vente. Pour rappel, un tribunal arbitral a condamné en 2013 l’Etat français ainsi que Thalès (ex Thomson-CSF) à verser à Taïwan la somme de 630 millions d’euros pour les irrégularités constatées dans l’affaire des frégates.