Le manifeste des 343 : quand les femmes reprenaient le contrôle de leur corps
Si la Journée internationale des droits des femmes est célébrée le 8 mars dans de nombreux pays, en France, un autre anniversaire majeur de la cause se déroule un petit mois plus tard. Le 5 avril, l’Hexagone peut en effet fêter la publication du célèbre « manifeste des 343 ».
C’est probablement une évidence mais en 1971, l’année de rédaction du fameux manifeste des 343, les droits des femmes sont nettement inférieurs à ceux que nous connaissons aujourd’hui. Et notamment les droits à disposer de leur corps. Par exemple, la contraception n’est à l’époque autorisée que depuis quelques années (1964), et n’est d’ailleurs ni véritablement démocratisée, ni remboursée. Et ce ne sera pas le cas avant 1974. Mais surtout, l’avortement est encore illégal, sous peine d’emprisonnement. Pourtant, les avortements clandestins existent bels et bien, dans des conditions sanitaire déplorables et extrêmement dangereuses.
Et bien qu’en 1970, une proposition de loi du député UDR Claude Peyret en accord avec des médecins de l’association nationale pour l’Étude de l’Avortement (ANEA) tente d’élargir les conditions d’accès à l’avortement thérapeutique, c’est avant tout dans une optique médicale. La proposition prévoit ainsi d’autoriser un IVG seulement si la vie de la mère ou de l’enfant à naître est indubitablement en danger, ou si l’on sait avec certitude que ce dernier sera atteint d’anomalies mentales ou corporelles importantes.
La question de laisser le choix ou non aux femmes ne se posent même pas… Lors d’un débat sur la grossesse, responsables juridiques, politiques ou religieux parviennent encore une fois à exclure les femmes !
343 désobéissances civiles
Un an plus tard, le 5 avril 1971, un groupe de femmes décident de braver la menace des poursuites judiciaires, et de reprendre le contrôle de leurs ventres. Est ainsi publié dans le Nouvel Observateur le fameux manifeste des 343, pour autant de signataires qui avouent avoir déjà vécu un avortement et réclament désormais la dépénalisation. Le manifeste, consultable dans son intégralité sur le site de l’Obs, commence par ces mots :
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France.
Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples.
On fait le silence sur ces millions de femmes.
Je déclare que je suis l’une d’elles. Je déclare avoir avorté.
De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l’avortement libre. »
Rédigé par Simone de Beauvoir, le manifeste poursuit avec la liste des 343 femmes l’ayant signé, avouant ainsi qu’elles ont bravé la loi. Mais au-delà de cette confession, elles fustigent également « les fascistes de tout poil […] qu’ils s’appellent catholiques, intégristes, démographes, médecins experts, juristes, ‘hommes responsables’» et appellent enfin à donner aux femmes le droit de choisir par elles-mêmes.
Si, parmi elles, certaines restent anonymes en ne signant que d’une initiale ou d’un prénom, la grande majorité donne son nom complet. Et parmi ces noms, certains portent également le poids de la célébrité, principalement des artistes et des femmes de lettres : Agnès Varda, Catherine Arditi, Catherine Deneuve, François Sagan, Marguerite Duras, Jeanne Moreau et beaucoup d’autres qui, outre l’emprisonnement, risquent aussi leur carrière et leur statut.
Un combat historique
L’impact se fait immédiatement ressentir. Charlie Hebdo notamment, comme à son habitude très provocateur, titre sa une : « Qui a engrossé les 343 salopes du manifeste sur l’avortement ? » accompagné d’un Michel Debré déconfit (et attaqué dans le manifeste) disant « C’était pour la France »… Alors que la couverture visait plutôt à ridiculiser l’homme politique, c’est plutôt le terme injurieux qui est malheureusement resté, symptomatique de la ténacité de l’antiféminisme…
Le manifeste a également inspiré deux mois plus tard son équivalent allemand dans l’hebdomadaire Stern (Wir haben abgetrieben ! ( J’ai avorté !)) ou celui des 331 médecins qui en 1973 se déclarent pour la liberté de l’avortement.
Mais surtout, le manifeste des 343 sera l’une des pierres sur lesquelles sera fondée la loi Veil qui dépénalise l’IVG en 1974. Aucune des signataires ne fera l’objet de poursuites judiciaires, mais elles réussissent un tour de force jusque-là unique, celui de redéfinir la question de l’avortement. En effet, il ne s’agissait non plus seulement de demander si il devait être légal ou non, mais aussi de savoir si c’est aux femmes de décider !
Photos : hachette.fr – sudouest.fr – rtbf.be