L’étrange affaire de Ligonnès
Voilà maintenant plus de trois ans que les corps d’Agnès, l’épouse de Xavier Dupont de Ligonnès, et de leurs quatre enfants, âgés de 13 à 20 ans, ont été retrouvés dans leur maison nantaise. Et voilà plus de trois ans que M. Ligonnès, le principal suspect, s’est volatilisé corps et biens du côté de Roquebrune-sur-Argens, dans le Var. Depuis, les enquêteurs et les observateurs se perdent en conjectures diverses.
Le 22 avril 2011, l’effroi et la consternation s’emparent de tous ceux qui découvrent, médusés, les gros titres des journaux. Cinq corps, d’une même famille, ont été retrouvés enfouis dans la cave de leur maison, à Nantes. Une femme et quatre enfants. Depuis quelques jours, des amis proches s’étaient inquiétés de la disparition de la famille, confirmée par des volets clos et par une voiture laissée sur le trottoir. Mais personne n’aurait alors imaginé un si macabre dénouement. Tous les regards, tous les soupçons, se portent alors sur le père de famille introuvable.
Très vite, l’enquête dévoile des éléments à charge pour ce dernier. En février, Xavier de Ligonnès, qui vient de perdre son père, hérite d’une carabine 22 Long Rifle et s’inscrit dans un club de tir. Puis, début avril, il achète du ciment, de la chaux, ainsi que de grands sacs poubelles, payés par carte bleue dans un magasin de bricolage. En l’espace de deux nuits, du 3 au 4 avril, puis du 5 au 6 avril, les membres de la famille sont assassinés. Aux personnes demandant des nouvelles de la famille Xavier de Ligonnès justifie leur absence par un départ à l’étranger. Suivant les interlocuteurs, il explique qu’il a été muté en Australie, ou encore qu’il quitte la France pour les Etats-Unis. Puis, il prend sa voiture, descend jusque dans le Var, et disparait complètement. Voici, résumée à l’extrême, la chronologie des faits établie par les enquêteurs, et reprise par le Parquet de Nantes.
Une affaire criminelle qui passionne
Très vite, la machine médiatique s’emballe, et l’affaire de Ligonnès, ou tuerie de Nantes, s’empare des gros titres. Le choc, suscité par un quintuple meurtre au sein d’une même famille, mobilise toutes les attentions. Et la disparition du père de famille, sa traque et les révélations de certains aspects de sa personnalité contribuent à captiver le public. A tel point que certains n’ont pas hésité à s’improviser « cyber-enquêteurs », disséquant les forums où la famille s’était exprimée, explorant les réseaux sociaux et cherchant des traces que la police n’aurait pas trouvées. Parfois avec succès, puisque ce sont ces personnes qui ont découvert plusieurs messages d’Agnès sur un forum, ajoutés depuis au dossier, et dans lesquels elle fait part des propos parfois étranges et menaçants tenus par son mari.
L’attention se cristallise sur lui, des dizaines de témoignages dénoncent sa présence, en Italie, en Asie, dans un monastère… Pistes qui se sont révélées à chaque fois infructueuses. La personnalité même du suspect intrigue et reste difficile à cerner : être pervers et narcissique selon certains, personne complexe, mais aimable et attentionnée pour d’autres. La famille proche de Xavier de Ligonnès, sa mère, sa sœur et son beau-frère, s’est portée partie civile et a ouvert un blog afin d’exprimer ses doutes vis-à-vis de l’enquête.
Zones d’ombre et hypothèses
A supposer que Xavier Dupont de Ligonnès soit bien le meurtrier, les motivations de son geste restent mystérieuses. Envie de refaire sa vie, acte désespéré et folie sanguinaire se concluant par un suicide ? Dans ce cas, pourquoi une cavale et une nuit passée dans un hôtel de luxe vauclusien ? Se serait-il suicidé dans un endroit isolé du massif des Maures, riche en anfractuosités ? Et aurait-il agi avec un complice, l’aidant à creuser une fosse de 2,5m³, Xavier de Ligonnès souffrant de problèmes dorsaux ? Ces questions n’ont à ce jour trouvé aucune réponse, même si le Parquet éloigne la piste d’une complicité. Une interprétation toute différente est donnée par les parties civiles, qui veulent croire en une opération d’extradition de la famille. Xavier de Ligonnès avait déclaré à sa sœur travailler pour l’agence antidrogue américaine, et cette activité lui aurait valu une protection en tant que témoin dans une grosse affaire de stupéfiants. Une macabre mise en scène aurait alors été montée, avec des cadavres de substitution. Cette thèse de l’exfiltration, à première vue farfelue, est appuyée par le fait que les proches n’ont pu avoir accès aux ni aux corps, ni aux photographies qui en ont été prises. La date des obsèques et de l’incinération des victimes est étrangement courte pour ce genre de dossier, puisqu’elles n’interviennent que 7 jours après leur découverte. Toujours selon la famille Ligonnès, les mensurations et les tests ADN feraient preuve de discordances.
Etat de l’enquête
Aucun élément nouveau n’est venu bouleverser la certitude des enquêteurs, dont les recherches, battues et opérations de spéléologies n’ont apporté aucune révélation. Brigitte Lamy, la procureure, privilégie la thèse du suicide. Quant à maitre Goldenstein, qui représente la famille Ligonnès, une phrase résume sa pensée et celle de ses clients : « Je ne dis pas qu’il est innocent ni qu’il est coupable. Je dis que le dossier n’est pas clair ». Au même titre que des cas tels que la disparition du docteur Godard, ou Jean-Claude Romand assassinant sa famille, des milliers de pages ont été noircies concernant cette affaire tragique, intervenant au sein d’une famille sans histoires, et perpétrée en plein centre-ville. Francis Huster en a tiré un livre, et il serait déjà question d’une adaptation sur les écrans. Plus de trois ans après les faits, la tuerie de Nantes intrigue toujours autant.
[i] http://xavierdupontdeligonnes.blogspot.fr/
[ii] Le Parisien Enquêtes, hors-série février-mars 2013.
[iii] « Family killer », aux éditions Le Passeur.