Les avocats et la crise de la Covid-19 : quel impact pour la profession ?
Impactés de plein fouet par la fermeture des tribunaux au printemps, les avocats voient leurs difficultés financières augmenter, particulièrement chez les plus jeunes. En avril dernier, ils étaient plus de 20.000 à se dire prêts à jeter l’éponge.
Fin avril 2020, alors que la France et une bonne partie du monde commence à trouver le temps long pendant le confinement, les avocats s’essoufflent en cœur. Sur les 70.000 avocats qui exercent sur le territoire français, ils sont à ce moment-là plus d’un tiers à vouloir jeter l’éponge (soit plus de 20.000). En cause ? L’arrêt presque total de la justice qui ne traite plus que les affaires qui ne peuvent pas attendre. La justice pénale d’urgence fonctionne à plein régime même pendant le confinement mais pour le reste, c’est le calme plat et la réouverture des tribunaux en juin ne compense pas l’inactivité des mois précédents.
Les professionnels déplorent alors le manque de réactivité des institutions judiciaires qui se sont contentées de fermer les tribunaux et d’attendre les directives gouvernementales au lieu de chercher à rouvrir dans des conditions sanitaires satisfaisantes. A Lyon, par exemple, il est vite demandé de ne plus envoyer de pièces justificatives via le réseau privé virtuel… Un comble à l’heure où tout doit se résoudre à distance : comme plus personne ne traite les documents qui arrivent sur ce réseau, il se trouvé saturé. En résumé, plus personne ne pilote l’avion.
« Portez plainte si vous le voulez, personne ne la traitera avant des mois »,
« Portez plainte si vous le voulez, personne ne la traitera avant des mois », résume un avocat qui doit présenter ainsi les faits à ses clients. Comme beaucoup de ses confrères, il craint la perte de confiance vis-à-vis du système judiciaire de la part des plaignants. Citons l’exemple de cette mère de famille prévenue par la Caisse des allocations familiales (CAF) de sa suspension de droits à moins de présenter la preuve qu’elle a bien assigné le père pour le versement d’une pension alimentaire : sauf qu’aucune assignation ne peut être envoyée à cette période-là. Au final, tout le monde est perdant : l’avocat qui ne peut être payé, la mère de famille qui subit le bourbier judiciaire et par conséquent, les enfants subissent la situation. Il s’agit pourtant d’une situation qui peut être réglée via des échanges à distance.
Tous ces dysfonctionnements ont été terribles pour le métier d’avocat, profession libérale où les inégalités salariales déjà soulignées en 2019 vont exploser en 2020. Les plus touchés sont les plus jeunes qui travaillent souvent dans le judiciaire. Si beaucoup d’avocats veulent jeter l’éponge, c’est qu’ils ont été pris à la gorge par le blocage imposé de la justice pendant deux mois. Une certaine solidarité a été affiché au sein des grands cabinets, même ceux qui ont été le plus impactés, mais pas partout.
Les avocats collaborateurs, « les petites mains » des avocats associés au sein des gros cabinets, ont fait l’objet de deux tendances. Soit être les fusibles qui sautent, bien oubliés par leurs « patrons » qui ont préféré ne pas toucher à leur rémunération, soit être préservés par des associés qui ont sacrifié leurs émoluments. Cela afin de pouvoir continuer à payer leurs collaborateurs et jouer sur le principe de la solidarité en invoquant le devoir de confraternité.
Certains cabinets en ont profité pour se réinventer
Il faut dire que tous les cabinets n’ont pas subi l’impact de la même façon et certains ont même profité de la période de confinement et de l’arrêt de leurs activités pour se réinventer. Des professionnels ont ainsi proposé des vidéo conférences gratuites sur la thématique judiciaires, répondant aux questions des citoyens inquiets, que ce soient des employés de la grande distribution exposés au virus de la Covid-19 lors de leur temps de travail ou des chefs de PME en arrêt d’activité.
Cette tendance à démocratiser la profession et à décloisonner le droit en le rendant plus accessible au grand public a été une manière de prouver que la justice n’était pas si éloignée des citoyens. Ces initiatives, rendues possibles par les échanges à distance, voulaient aussi montrer que les avocats n’arrêtaient pas de travailler malgré les fermetures des tribunaux. Le statut de libéral n’incite évidemment pas à se « tourner les pouces » mais au contraire à se réinventer sans cesse, particulièrement en période de crise exceptionnelle. Cette façon de faire un peu d’avocat-conseil a semble-t-il été appréciée des deux côtés de l’écran, ce qui a forcément redonné un visage plus humain à l’avocat.
Une transformation qui n’a pas été, selon les professionnels du métier, suivie par les rigides institutions judiciaires. La sonnette d’alarme est donc tirée par la profession pour veiller à ce que pareille situation ne se reproduise plus, d’autant que l’incertitude des prochains mois liée à la Covid-19 peut encore laisser planer le doute quant à un « retour à la normale ». Il est aujourd’hui clair que la jeune génération d’avocats ne survivra pas à un nouvel arrêt total de l’appareil judiciaire.
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