L’Affaire Woerth-Bettencourt, presque dix ans après
Une milliardaire octogénaire, un ami qui la trahit, un majordome qui l’enregistre à son insu, une fille qui tente de faire placer sa mère sous tutelle, des politiciens… L’affaire Woerth-Bettencourt avait tout du scénario Hollywoodien.
Banier avant Woerth
Pour bien comprendre l’affaire Woerth-Bettencourt, il faut d’abord se pencher sur l’affaire Banier-Bettencourt. En 1987, François-Marie Banier fait la connaissance de Liliane Bettencourt, à l’occasion d’un portrait photographique. Le photographe devient rapidement ami avec la milliardaire, première actionnaire du groupe l’Oréal.
En 2007, des employés de Liliane Bettencourt alertent sa fille Françoise Bettencourt-Meyers de nombreuses largesses dont M.Banier semble bénéficier. Ce dernier est ensuite accusé «d’abus de faiblesse». En clair, d’avoir profité de la fragilité psychologique de Liliane Bettencourt (alors âgée de 87 ans) pour obtenir près d’un milliard d’euros de «cadeaux» sous forme de tableaux de maîtres, de chèques, de contrats d’assurance vie…
Suite à ces révélations, Françoise Bettencourt-Meyers entame une procédure contre François-Marie Banier et réclame la mise sous tutelle de sa mère, qu’elle juge désormais incapable de gérer ses affaires. Liliane Bettencourt contre-attaque en refusant la mise en examen médical, et fournit à la place le rapport d’un neuropsychiatre qui la déclare parfaitement saine d’esprit.
L’affaire aurait pu s’arrêter là, avec finalement plusieurs accords entre les trois protagonistes. Seulement, le majordome de l’hôtel particulier de Liliane Bettencourt va tout chambouler. Celui-ci enregistre clandestinement son employeur, assurant qu’il ne supporte plus de «voir Madame se faire abuser par des gens sans scrupules». Plus de vingt-et-une heures d’écoutes sont enregistrées sur un dictaphone avant d’être transférés sur 28 CD-ROM. D’une partie de ces enregistrements démarre l’affaire Woerth-Bettencourt.
Le contenu des écoutes
L’un des personnages récurrents de ces écoutes, c’est Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de la milliardaire. Dans ces enregistrements, il est fait mention à plusieurs reprises d’actifs qui pourraient échapper au fisc. Néanmoins, ce qui fait définitivement s’enflammer la presse comme le public, c’est la portée politique de toute l’affaire.
En effet, les enregistrements permettent également de comprendre les liens entre Liliane Bettencourt et la famille Woerth. Eric Woerth, à l’époque, c’est le ministre du Budget et le trésorier de l’UMP. Son épouse, Florence Woerth, est quant à elle directrice des investissements de Clymène, la société qui gère aussi bien la fortune de Liliane Bettencourt, qu’une part des actions du groupe l’Oréal. Tout cela sent très fort le conflit d’intérêts, et les choses ne vont qu’empirer par la suite.
Le site Mediapart rend publics certains extraits de ces écoutes, au sein desquelles M. de Maistre semble promettre l’aide de plusieurs personnalités du gouvernement de Nicolas Sarkozy, à condition de leur faire des dons au nom de Mme Bettencourt.
Eric Woerth devient encore plus suspect quand il est révélé que ce dernier a, en 2008, remis la Légion d’honneur à M. de Maistre, l’homme de «confiance» de Liliane Bettencourt. S’ajoute ensuite un témoignage de Claire Thibout, la comptable de Liliane Bettencourt. Cette dernière affirme avoir remis 50.000 euros en liquide au trésorier de l’UMP.
La cacophonie
Suite au battage médiatique ininterrompu, et au vu de la complexité évidente de l’affaire, la justice décide rapidement de diviser l’affaire en plusieurs volets distincts. D’un côté, Liliane Bettencourt dépose une plainte contre son majordome et les médias ayant diffusés ses enregistrements. De l’autre, la justice traite à Nanterre les soupçons de délits financiers et de trafic d’influence attribués à Eric Woerth et Patrice de Maistre. Et enfin, la question de l’abus de faiblesse sur Mme Bettencourt.
Comme pour compliquer un peu plus la situation, le camp sarkozyste s’en prend violemment aux médias, notamment Mediapart et le Canard Enchaîné. Cambriolages dans les rédactions, chasses aux traîtres dans les administrations, tout est bon pour trouver d’où viennent les fuites vers la presse.
La justice avance
Fin 2011, l’affaire est (un peu) sortie de l’actualité, mais se rappelle au bon souvenir des Français lorsque le photographe François-Marie Banier est interpellé. Il est incarcéré, interrogé et mis en examen à Bordeaux. Patrice de Maistre est également mis en examen les jours suivants, ainsi qu’en 2012, Eric Woerth pour le chef d’accusation de trafic d’influence dans l’affaire de la Légion d’honneur.
Ensuite, c’est l’ancien majordome de Liliane Bettencourt, Pascal Bonnefoy, qui est mis en examen au mois de mars. En avril, suite à la plainte de la milliardaire pour atteinte à la vie privée, ce sont cinq journalistes qui connaissent le même destin.
L’incroyable imbroglio n’est pas pour autant démêlé, puisque l’ancien avocat de la milliardaire, Pascal Wilhelm, est également mis en examen pour abus de faiblesse. Ce dernier aurait tenté d’influencer Mme Bettencourt pour la faire investir dans la société d’un autre de ses clients, un certain Stéphane Courbit. Un énième volet de l’affaire se dévoile en juillet, et menace désormais le président Sarkozy.
Avocat, président, puis accusé
Depuis sa défaite aux élections présidentielles, Nicolas Sarkozy ne jouit plus de son immunité juridique. Dès juillet 2012, des perquisitions ont lieu soit au domicile de son épouse, soit dans son ancien cabinet d’avocat. À l’occasion, plusieurs anciens membres de ce cabinet sont appelés à comparaître devant le juge.
En novembre de la même année, l’ancien président est entendu pendant douze heures par le juge Gentil. La défense de M. Sarkozy semble efficace puisqu’il ressort du tribunal avec le statut de témoin assisté. Le soulagement n’est que de courte durée, puisque l’ancien président est finalement mis en examen pour «abus de faiblesse».
Tout scénario doit avoir un dénouement
Au final, Nicolas Sarkozy ne sera jamais renvoyé en correctionnelle, contrairement à Patrice de Maistre et Eric Woerth en juillet 2013 pour le volet de trafic d’influence. Ce dernier est renvoyé une nouvelle fois en octobre de la même année pour le volet principal de l’affaire.
En mars 2014, la Cour de Cassation qui avait été saisie par la majorité des personnes mises en examen, valide presque la totalité de l’instruction, ce qui permet d’ouvrir la voie au procès. Eric Woerth est finalement relaxé en 2015, tant pour le volet de trafic d’influence que d’abus de faiblesse. En revanche, François-Marie Banier, Stéphane Courbit et Patrice de Maistre sont condamnés. Les peines de M. Banier seront éventuellement réduites suite à sa procédure d’appel lancée en 2016.
Ainsi l’affaire Bettencourt a clairement chamboulé le paysage médiatique et politique français. En pleine campagne électorale, il est facile d’imaginer qu’elle a drastiquement réduit les chances de réélection de Nicolas Sarkozy, tout en fragilisant considérablement le gouvernement François Fillon. Le retentissement de l’affaire a largement dépassé les frontières de l’Hexagone. Le New York Times, par exemple, y a souvent fait référence sous le sobriquet peu flatteur de «French Watergate».
Un président impopulaire, une héritière âgée, un majordome rebelle, des histoires de financements occultes et une portée internationale… un véritable thriller politique qui devrait intéresser les scénaristes.