L’affaire Borrel toujours en attente de procès
2015 marque le vingtième anniversaire de la mort de Bernard Borrel. Le magistrat, dont le corps fut retrouvé au pied d’une falaise le 19 octobre 1995, était conseiller auprès du ministère de la Justice djiboutien. 20 ans que l’enquête piétine et n’a jamais déterminé ni l’identité des coupables, ni un mobile ou une revendication du meurtre. De ce fait, aucune mise en examen n’a été, à ce jour, effectuée. C’est pourquoi Elisabeth Borrel, la veuve du juge, continue de se battre depuis vingt ans pour connaitre la vérité. Par quels moyens l’épouse du magistrat peut-elle permettre de résoudre une enquête délaissée par les deux Etats ?
Dans la nuit du 18 au 19 octobre 1995, le corps de Bernard Borrel est retrouvé calciné à 80km de la capitale, dans la région de Goubet-Al Karab. L’ancien procureur de Lisieux rejoint Djibouti en avril 1994 pour des missions de coopération. Au cours de son séjour, il s’intéresse à de nombreux sujets gênants, comme les attentats du café de Paris en 1990 visant des ressortissants français ou bien le trafic d’uranium impliquant des sociétés européennes et des représentants africains. Dans un premier temps, la thèse du suicide est accréditée par le gouvernement de Djibouti et l’ambassade de France. Mais l’affaire Borrel fait grand débat en France. Des doutes subsistaient jusqu’à ce que l’expertise médico-légale de 2003 vienne confirmer la thèse de l’assassinat.
De nombreuses pistes sont émises mais aucune preuve n’est jamais apportée. En 2000, l’enquête est relancée par un témoignage de Mohamed Saleh Alhoumekani. Il déclare avoir surpris une discussion suspecte entre un groupe de cinq hommes et l’actuel président de la République depuis 1999, Ismaël Omar Guelleh, alors directeur de cabinet. L’ancien lieutenant de la garde présidentielle djiboutienne affirme les avoir entendus lui annoncer le décès du « juge fouineur ». Ce n’est qu’en 2007 lorsque le parquet de Paris officialise le décès de Bernard Borrel comme étant d’origine criminelle que prennent fin douze années de thèse du suicide. Il aura tout de même fallu exhumer et autopsier deux fois le corps du juge pour confirmer l’assassinat.
La potentielle implication du président Ismaël Omar Guelleh
Mais si aucun coupable ou suspect n’a été interpellé jusqu’à lors, c’est parce que l’affaire est particulièrement sensible puisqu’elle remet en cause l’impartialité de la Justice et l’importance outrageuse que prend la diplomatie. En effet, la potentielle implication d’un chef d’Etat étranger qui jouit d’une « immunité diplomatique », qui de plus viendrait entacher les relations entre deux Etats, gêne l’avancée de l’enquête. C’est grâce à la volonté de savoir qu’éprouve Elisabeth Borrel, elle-même magistrate, que l’enquête se poursuit.
Depuis la mort de son mari, elle ne cesse d’accumuler des preuves et de constituer des dizaines de dossiers avec l’aide de son avocat, Me Olivier Maurice. Ce dont la magistrate est certaine, c’est que l’affaire constitue un complot diplomatique: « Je suis une veuve en guerre contre le mensonge d’Etat » déclare-t’elle.
Un de leurs espoirs est de parvenir à fournir rapidement des expertises ADN permettant d’abord d’identifier les auteurs du meurtre. Mais elle veut surtout mettre la lumière sur les commanditaires de l’assassinat, qu’elle juge être les autorités djiboutiennes, en particulier le président Ismaël Omar Guelleh et ses proches, mais également certains ressortissants français qui seraient impliqués. D’autre part, Madame Borrel fustige le mutisme et l’attitude de la France dans cette affaire, coupable selon elle d’étouffer la responsabilité des autorités djiboutiennes. Elle déplore l’attitude de certains qui nient l’assassinat comme étant politique, alors qu’un ancien membre de l’ex DGSE révèle que le juge Borrel enquêtait sur des pratiques douteuses auxquelles le président djiboutien serait mêlé.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme condamne la France
Par ailleurs, Madame Borrel, qui entend user de son statut de magistrate, dépose une plainte pour subornation de témoin à l’encontre du procureur et du chef des services secrets de Djibouti, qui n’aboutit en 2009 qu’à la relaxe des prévenus pourtant désignés coupables, mais immunisés par leur statut de représentants étrangers. Elle dépose alors une autre plainte pour « pressions sur la justice », ce qui entraine des perquisitions au ministère des Affaires étrangères. A ce jour, l’instruction est toujours ouverte.
La ténacité d’Elisabeth Borrel et de son avocat porte finalement ses fruits. En effet, la Cour européenne des droits de l’homme condamne la France en mai 2015 pour entrave à la liberté d’expression de Me Morice. Ce dernier, qui avait dénoncé l’entente suspecte d’une magistrate française et de la justice djiboutienne, avait vu ses revendications faire l’objet d’une poursuite judiciaire par l’Etat français pour « remise en cause de l’impartialité de la justice ».
« La raison d’Etat ne peut pas arrêter la Justice »
L’instruction sur le meurtre de Bernard Borrel est aujourd’hui dirigée par le juge Paquaux. Si l’enquête semble avoir enfin décollé après plus de douze ans de mensonges, son côté dérangeant l’oblige à faire face à de puissants obstacles. Comme le précise l’avocat de Madame Borrel, Me Morice, « les blocages politiques restent nombreux ». En effet, la suprématie d’Ismaël Omar Guelleh au Djibouti, qui pourrait être réélu en 2016, ainsi que l’importance stratégique de l’ancienne colonie pour les militaires français font de cette affaire un problème pour la diplomatie des deux Etats. Si Elisabeth Borrel et son avocat veulent croire en la justice et la vérité, ils savent aujourd’hui que le combat sera encore long. Ils peuvent d’ailleurs compter sur l’appui médiatique de l’affaire qui aura vu naître des encouragements extérieurs, comme un comité de soutien. Comme l’aime à penser l’épouse de la victime, « La raison d’Etat ne peut pas arrêter la Justice ». L’énigme de l’affaire Borrel n’a pas fini de faire parler d’elle…