L’affaire Bettencourt – Du conflit familial au scandale d’Etat
En 2007, Françoise Meyers porte plainte contre X pour abus de faiblesse sur la personne de sa mère, Liliane Bettencourt. C’est le début d’une affaire familiale qui plongera la classe politico-financière dans la tourmente. Explications.
A l’origine, c’est une simple dispute familiale. Le père décède ; et la fille craint que sa mère ne dilapide son patrimoine. L’affaire serait banale si la vieille dame n’était pas Liliane Bettencourt, principale actionnaire de L’Oréal et 2ème fortune de France.
L’artiste profite de la vieille dame
Quand il disparaît en 2007, André Bettencourt laisse derrière lui une femme et une fille qui, depuis plusieurs années, ne se parlent quasiment plus. Le responsable de cette brouille ? Le photographe François-Marie Banier qui, d’après Françoise Meyers, abuserait de la vulnérabilité de sa mère.
Liliane Bettencourt a beau répéter que sa fille est jalouse ; les faits sont là… Chèques, assurances-vie, tableaux de maître, île aux Seychelles – l’octogénaire couvre l’artiste de cadeaux insensés. En dix ans, elle lui aurait ainsi donné l’équivalent d’un milliard d’euros ! C’est beaucoup, même pour un mécène enthousiaste…
La mère et la fille se déchirent
A la mort d’André, un bruit court : la milliardaire s’apprêterait à faire de l’artiste son légataire universel. Pour sa fille, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase ! Elle veut placer sa mère sous tutelle.
Comme celle-ci refuse d’être auscultée, Françoise Meyers fait appel à la justice. En décembre 2007, elle porte plainte contre X pour abus de faiblesse, mais, après le classement de l’affaire en 2009, elle délivre une citation directe visant M. Banier. C’est le début du grand déballage…
Les domestiques se mettent à table
Car, cette fois, les domestiques de Liliane Bettencourt sont interrogés par les juges ; et ils sont unanimes : le photographe est un profiteur cynique et manipulateur…
Après la fuite opportune de leurs confidences dans la presse, l’octogénaire les licenciera les uns après les autres. Pour le majordome qui y voit la main de Banier, c’en est trop et, indigné , il cache un dictaphone dans la salle de réunion de sa patronne.
Au total, 21 heures de conversations seront enregistrées entre mai 2009 et mai 2010…
L’harmonie revient chez les Bettencourt
Paradoxalement, ce déballage accélère la réconciliation entre la mère et la fille. En décembre 2010, un accord est conclu ; F-M Banier écarté ; et Maître Wilhelm mandaté pour gérer les affaires de la milliardaire.
Tout va pour le mieux quand une dernière secousse ébranle le bel édifice . En juin 2011, Françoise Meyers s’insurge devant le juge de l’investissement de 143 millions d’euros que Liliane Bettencourt a fait dans la société de jeux en ligne de Stéphane Courbit, dont M. Wilhelm est le conseil. Pour Mme Meyers, il y a abus de faiblesse, car sa mère – catholique pratiquante – n’aurait jamais accepté d’investir dans une telle entreprise si elle avait disposé de toutes ses facultés…
Trois mois plus tard, une expertise médicale lui donnera raison. C’est désormais officiel : Mme Bettencourt souffre de démence mixte et de la maladie d’Alzheimer. Elle est placée immédiatement sous la tutelle de sa fille et de ses petits-fils.
C’est la fin de la dispute familiale.
Pendant ce temps, dans la sphère politico-financière…
L’affaire qui a été dépaysée fin 2010 à Bordeaux ne s’arrête pas pour autant, car, entretemps, les enregistrements du majordome ont fait des ravages …
Première victime : Patrice de Maistre, gestionnaire de fortune et homme de confiance de Liliane Bettencourt. Il est soupçonné par la justice d’avoir orchestré les manœuvres d’évasion fiscale de la milliardaire…
Deuxième victime : Eric Woerth cité dans les enregistrements et dont l’épouse travaille dans la société de M. de Maistre. Elle y aurait été recrutée en 2007 à la demande du ministre lui-même, lequel remettra plus tard au financier le grade de Chevalier de la Légion d’honneur. L’opposition s’indigne et crie au trafic d’influence et au conflit d’intérêt !
Le Président dans l’œil du cyclone…
Pour le ministre, ce n’est que le début des ennuis ! En juillet 2010, l’ancienne comptable de Liliane Bettencourt l’accuse d’avoir reçu 150 000 euros en liquide au printemps 2007 . A l’époque, M. Woerth était le trésorier de l’UMP et cet argent aurait servi à alimenter (illégalement) les comptes de campagne du candidat de droite. L’accusation est grave et, à la rentrée, il sera poussé vers la sortie par l’Elysée.
Mais le mal est fait et ces accusations font désormais planer le doute sur une éventuelle implication de Nicolas Sarkozy dans cette affaire… Soupçonné d’avoir rencontré plusieurs fois les Bettencourt en 2007, il sera à son tour mis en examen pour abus de faiblesse en mars 2013.
Et maintenant ?
Dans le volet trafic d’influence du dossier, c’est confirmé : Eric Woerth et Patrice de Maistre seront jugés en correctionnelle.
Dans le volet abus de faiblesse, la situation est plus confuse. En juin 2013, le parquet a requis le renvoi devant le tribunal pour l’artiste et le financier, mais un non-lieu pour Sarkozy, Woerth, Courbit et Wilhelm.
La cour devait se prononcer sur ces réquisitions, mais la procédure a été suspendue début juillet. La défense a en effet déposé un recours en nullité après avoir découvert les liens d’amitié entre le juge d’instruction et le médecin qui a procédé à l’unique examen de Liliane Bettencourt. Un comble pour des parties civiles qui crient au haro !
Sauf rebondissement, le procès pour abus de faiblesse devrait avoir lieu. Le procureur général a d’ores et déjà jugé l’expertise médicale recevable ; et il est probable que la cour d’appel de Bordeaux suive son avis.
Verdict : le 24 septembre.