Jérôme Kerviel, en marche pour la justice
24 janvier 2008, la Société Générale annonce une perte record de 4,9 milliards d’euros. L’entreprise accuse l’un de ses traders, Jérôme Kerviel. C’est le début de l’affaire Kerviel. En mars, l’ancien trader a entrepris un pèlerinage de Rome à Paris, durant lequel il a appris le résultat de son procès à savoir la cassation de sa condamnation à rembourser les 4,9 milliards d’euros à la Société générale.
C’est sur la route que Jérôme Kerviel a été informé le 19 mars dernier du jugement rendu par la Cour de cassation, qu’il qualifie d’emblée de« super bonne nouvelle ». Traits tirés, teint hâlé par les journées au grand air, l’ex-trader, en tenue de marcheur, commente l’événement aux micros des journalistes venus à sa rencontre, sur une vidéo postée par BFM TV. « La justice a cessé de s’égarer. C’est une énorme victoire. Le dossier Kerviel qui reposait sur les 5 milliards d’euros vient d’exploser en l’air. (…) Et il y a un dossier Société générale qui vient de s’ouvrir. » La Cour de cassation a en effet cassé les 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts réclamés par la Société générale à l’ex-trader. La peine de trois ans de prison ferme a toutefois été confirmée.
« Une marche contre la tyrannie des marchés »
Ce pèlerinage entre Rome et Paris, Jérôme Kerviel l’a entamé à l’issue d’une brève rencontre avec le pape François fin février. « C’est une marche contre la tyrannie des marchés, selon les mots mêmes du Saint-Père », a déclaré l’avocat de l’ancien banquier, David Koubbi, qui l’accompagnait ce jour-là. Pour l’ancien trader, c’est d’abord une façon de se reconstruire après les années éprouvantes qu’il a traversées depuis le 24 janvier 2008, jour où éclate ce qui sera médiatisé comme l’ « Affaire Kerviel . » Le jeune homme de 37 ans se dit « déjà libéré de plein de choses après trois semaines de marche » et exprime sa reconnaissance à tous ceux qui l’ont soutenu depuis six ans, et en particulier depuis son départ de Rome. De quoi lui redonner des forces pour continuer son combat contre l’injustice.
« Ce sera le procès de la Société générale »
La condamnation de Jérôme Kerviel sera exécutoire dès que la décision de la Cour lui sera notifiée, ce qui devrait prendre entre quinze jours et un mois, selon l’AFP. Jérôme Kerviel confirme qu’il se tient à la disposition de la justice là où il se trouve. Pour les dommages et intérêts, un nouveau procès se déroulera à la Cour d’appel de Versailles. « Ce sera le procès de la Société générale qui va devoir justifier pour la première fois ses disfonctionnements» a commenté Me Patrice Spinosi, conseil de l’ancien trader devant la Cour de cassation, au journal Le Figaro.
Retour sur l’affaire Kerviel
La Cour de cassation vient d’appliquer en matière d’atteinte aux biens la jurisprudence existante en matière d’atteinte aux personnes qui, elle, tient compte de faute éventuelle de la victime pour l’appréciation du préjudice depuis un arrêt du 28 janvier 1972.
Mais revenons au 24 janvier 2008, jour où démarre cette affaire qui envahit d’emblée les médias et demeure aujourd’hui encore pleine de zones d’ombres. Ce jour-là, la Société Générale annonce lors d’une conférence de presse une perte record de 4,9 milliards d’euros. L’entreprise accuse l’un de ses traders, Jérôme Kerviel, d’en être responsable, et le poursuit en justice. Le jeune trader reconnaît avoir procédé à des opérations financières risquées dont il a masqué les effets en manipulant une partie du système informatique de la banque. Il met cependant en cause son employeur qui selon lui ne pouvait ignorer les risques qu’il prenait, et accuse la Société Générale d’un dysfonctionnement de ses mécanismes de contrôle. Ces carences sont reconnues et sanctionnées par la commission bancaire qui impose 4 millions d’euros d’amende à l’entreprise le 4 juillet 2008.
Une demande d’expertise
Le 8 juin 2010 démarre son procès. Jérôme Kerviel est poursuivi pour «faux, usage de faux, abus de confiance, introduction frauduleuse de données dans un système informatique ». Le 5 octobre 2010, il est reconnu coupable de tous les chefs d’accusation et condamné à cinq ans de prison dont deux ans avec sursis, et à 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts qu’il devra payer à la Société Générale. La banque est alors dédouanée de toute responsabilité.
En juin 2012 a lieu un procès en appel qui confirme le jugement de première instance.
Le 12 février 2013, Jérôme Kerviel saisit les Prud’hommes pour demander une expertise indépendante sur les pertes qui lui sont imputées par la Société générale, mais il est débouté le 3 juillet 2013.
Le combat de David contre Goliath
Si l’affaire suscite autant d’intérêt voire de polémiques, c’est qu’elle ouvre sur de nombreux mystères. Comment un jeune trader « sans génie particulier » a-t-il pu déjouer les contrôles d’une grande banque comme la Société générale ? Comment a-t-il pu faire gagner autant d’argent à cette même banque sans éveiller ses soupçons ? Et pourquoi Kerviel a-t-il pris autant de risques, alors que lui-même n’en tirait aucun bénéfice financier ?
Jérôme Kerviel a avoué qu’il s’était laissé prendre dans une spirale. Et que les gains importants qu’il obtenait, ainsi que les encouragements de ses supérieurs, le grisaient et l’avaient conforté dans cette fuite en avant.
Aux yeux de certains, Kerviel apparaît comme un héros pour avoir ouvert une brèche dans un système des marchés financiers qui suscite tant de défiance. Son aventure s’apparente au combat de David contre Goliath. Comment se représenter en effet une grande banque comme la Société générale en victime, sachant les soutiens politiques, financiers, et juridiques que le pouvoir confère de fait aux puissants dans notre société ?
Un nouvel espoir
Aujourd’hui, l’ancien trader se montre déterminé à continuer de se battre pour la vérité, tandis qu’il poursuit sa marche en direction de Paris. « C’est plein d’espoir qui revient » exprime-t-il. Parmi les revendications majeures de Jérôme Kerviel et de sa défense figure depuis six ans la demande d’une expertise indépendante, qui n’a curieusement jamais eu lieu jusqu’ici.
S’il accueille ce verdict de la Cour de cassation avec beaucoup d’espoir, Jérôme Kerviel est lucide et sait qu’il devra peut-être purger sa peine de trois ans de prison. Une issue qu’il dit redouter en raison de l’état de santé critique de sa mère.
Certains veulent voir dans cette marche de Jérôme Kerviel un coup médiatique. N’empêche, il marche. Et le pèlerinage possède sa propre vertu rédemptrice, que connaissaient bien au Moyen-âge ceux qui envoyaient les forçats sur les routes de Compostelle. Pour qu’ils purgent leur peine tout en se purifiant. Tout un symbole que porte aujourd’hui le trader repenti en quête de justice.
En mai 2010, Jérôme Kerviel a publié un ouvrage, L’engrenage : mémoires d’un trader aux éditions Flammarion.