Jérôme Cahuzac : plus dure sera la chute.
L’affaire Jérôme Cahuzac a défrayé la chronique tout au long de l’année 2013. Le scandale mêlait argent, politique et pots de vin. Tandis que la tempête médiatique semble aujourd’hui s’apaiser, la justice poursuit ses investigations.
Le 17 janvier 2014, l’Ordre des médecins, annonçait l’interdiction faite à Jérome Cahuzac d’exercer la médecine pendant une durée de six mois, dont trois avec sursis. La nouvelle est passée quasiment inaperçue. Quelques mois à peine après avoir agité la France entière, l’affaire Cahuzac ne semble plus faire recette. C’est pourtant l’une des plus grandes tempêtes médiatiques qu’ait connu le pays. Tous les ingrédients du scandale y étaient réunis, le pouvoir, l’argent, le destin d’un homme confronté à son passé.
Maudit cadeau
Tout a commencé par un « cadeau ». En arrivant au ministère du budget, Jérôme Cahuzac commande une expertise à la cour de justice de la République (CJR). Elle concerne l’affaire de trafic d’influence pour laquelle Éric Woerth, ancien ministre UMP du budget, est soupçonné. L’expertise conclue à l’innocence d’Eric Woerth, contredisant les précédentes investigations menées par la CJR. Ce “cadeau” fait à un adversaire politique, intrigue un journaliste. Fabrice Arfi, du site d’informations Mediapart, commence alors son enquête.
La machine qui va emporter le ministre du budget est lancée. Le 4 décembre 2012, Mediapart publie un article accusant Jérôme Cahuzac d’avoir possédé un compte bancaire en Suisse. L’article cite le rapport d’un fonctionnaire du fisc, Rémy Garnier, qui mentionne un compte secret détenu par Jérôme Cahuzac. Le compte aurait été clôturé et ses avoirs transférés à Singapour en 2010 au moment où Jérome Cahuzac accédait à la présidence de la commission des finances de l’assemblée nationale.
La nouvelle fait l’effet d’une bombe. Non seulement Jérome Cahuzac est le ministre en charge du budget, mais de surcroit, c’est un membre important du gouvernement Ayrault. Il incarne une nouvelle gauche, rigoureuse, morale qui veut assainir les finances de la France. Aussitôt, Jérome Cahuzac nie toutes les accusations « en bloc et en détail ».
« Ça me fait chier d’avoir un compte là-bas »
Mais le lendemain, le 5 décembre, Mediapart rend public un enregistrement dans lequel un personnage évoque la possession d’un compte en Suisse. « Ça me fait chier d’avoir un compte ouvert là-bas, l’UBS, ce n’est quand même pas forcément la plus planquée des banques », dit une voix que le site d’informations présente comme celle de Jérôme Cahuzac. La déclaration est aussitôt reprise dans tous les médias.
Sommé de s’expliquer le jour même à l’assemblée nationale, le ministre du budget affirme solennellement ne pas détenir et n’avoir jamais détenu de compte en Suisse. Il nie être le personnage de la bande enregistrée, « ce ne peut être moi puisque je n’ai pas de compte en Suisse ». Dans la foulée, le 7 décembre, Jérôme Cahuzac porte plainte contre Mediapart pour diffamation
Certains médias, comme RTL, mettent en doute l’enquête de Mediapart. Dans la classe politique, de nombreuses voix, à droite comme à gauche, crient au lynchage médiatique. Pourtant, le 17 décembre, un nouveau personnage entre en scène. Michel Gonelle, avocat et ancien député RPR du Lot et Garonne, – la circonscription de Jérôme Cahuzac -, prend contact avec l’Elysée pour certifier l’enregistrement de Mediapart. Il aurait été accidentellement effectué sur le répondeur de l’ex-député.
Des fuites organisées par l’armée
L’affaire grossit rapidement. En Suisse, plusieurs journaux se font l’écho d’une rumeur selon laquelle les révélations sur Jérôme Cahuzac auraient été facilitées par des fuites organisées par le lobby de l’armée. Le ministère du budget avait en effet prévu des restrictions drastiques de l’enveloppe allouée aux militaires (vente du porte-avion Charles de Gaule, arrêt de la production du Rafale…). En France, l’administration fiscale annonce qu’elle va procéder à une vérification approfondie de la déclaration à l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) de Jérôme Cahuzac. On soupçonne le ministre d’avoir sous-évalué un appartement qu’il détient à Paris. Jérôme Cahuzac s’en tient à sa ligne de défense. Le 20 décembre, il porte à nouveau plainte contre Mediapart.
Le 8 janvier, le parquet de Paris annonce l’ouverture d’une enquête préliminaire pour blanchiment de fraude. Rapidement, une expertise menée par la police scientifique authentifie la bande enregistrée. Par ailleurs, les informations recueillies par les enquêteurs en Suisse confirmeraient, selon certains journaux, les soupçons pesant sur le ministre du budget. Jérôme Cahuzac s’engage à poursuivre tous ceux qui tenteraient de le calomnier.
Mais le 18 mars, l’Elysée annonce la démission du ministre du budget. Quelques heures auparavant, le parquet avait ouvert une information judiciaire pour blanchiment de fraude fiscale. Officiellement, Jérôme Cahuzac quitte ses fonctions pour mieux organiser sa défense.
« J’ai commis une folle bêtise »
Outre la détention d’un compte en Suisse, des soupçons de corruption pèsent sur le ministre démissionnaire. Alors qu’il était au cabinet de Claude Evin (ministre de la santé entre 1988 et 1991), Jérôme Cahuzac avait la responsabilité des médicaments et des équipements lourds. On le soupçonne d’avoir favorisé certaines sociétés ou laboratoires contre le versement de commissions sur son compte en Suisse. Mediapart cite le fabriquant israélien de scanners, Elscint, auquel il aurait été demandé des pots de vin à hauteur de 40 000 euros pour un scanner, 100 000 euros pour un IRM. Selon certains médias, le laboratoire Innothera semble aussi avoir bénéficié de l’appui de Jérôme Cahuzac. Son produit phare, le Tot’hema, un antiasthénique aux vertus aphrodisiaques est resté sur la liste des médicaments remboursés à 70%, alors que tous ses concurrents étaient déclassés. Le laboratoire a d’ailleurs réalisé de substantiels bénéfices entre 1988 et 1992. Peu de temps après, le cabinet de conseil créé par Jérôme Cahuzac signe un contrat avec Innothera.
Nouveau rebondissement dans l’affaire, le 2 avril 2012, Jérôme Cahuzac, avoue sur son blog avoir possédé un compte en Suisse. L’ex-ministre demande pardon à sa famille, à ses proches, à ses amis politiques, au président de la république et aux français pour avoir menti. Un acte de contrition qu’il répétera en direct sur la chaine BFM, le 12 avril : « j’ai commis une folle bêtise, une folle erreur. J’avais une part d’ombre », déclarera-t-il. Ces aveux n’auront pas l’effet escompté. La presse y voit un exercice de communication. Le public se montre peu enclin à pardonner celui dont les déclarations sur l’honneur sont encore dans toutes les mémoires. Néanmoins, à partir de cette date, la tempête s’apaise.
Jusqu’à 10 ans d’emprisonnement.
L’affaire fera encore un peu de bruit en septembre 2013, lorsque la loi sur la transparence de la vie publique sera adoptée à l’assemblée. C’est une des conséquences directes de l’affaire Cahuzac. Cette loi prévoit notamment la création d’une Haute autorité de la transparence de la vie publique ; ainsi que de nouvelles obligations de déclaration de patrimoine faites au personnel politique.
Si sur le front des médias, l’affaire est terminée, pour la justice, elle ne fait que commencer. Instruite par les juges Renaud van Ruymbeke et Roger Le Loire, l’enquête a déjà fait une première victime. Le 6 décembre 2013, François Reyl, patron de la banque Reyl, un établissement dont le siège est en Suisse, a été mis en examen pour blanchiment de fraude fiscale. La mesure s’accompagne d’une interdiction d’exercer la direction de la banque et de quitter le territoire français. On soupçonne François Reyl d’avoir organisé une filière pour faciliter l’ouverture de comptes secrets à une clientèle française fortunée.
L’enquête devrait bientôt livrer son verdict. Les charges qui pèsent sur Jérome Cahuzac sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à dix ans d’emprisonnement. Le passé de l’ex-ministre du budget, risque décidément de lui coûter très cher.