Affaire Vincent Lambert : acharnement judiciaire ou
Après de nombreux rebondissements en France, l’affaire Vincent Lambert est actuellement jugée devant la Cour européenne des droits de l’homme. C’est la première fois que cette institution doit trancher sur la complexe question de l’euthanasie.
Victime en 2008 d’un accident de la route, Vincent Lambert devient tétraplégique. Ayant perdu toute autonomie, il est alimenté et hydraté de manière artificielle. Examiné en 2011 par le « Coma Science Group » du CHU de Liège, son état de conscience est jugé minimal, mais la perception de la douleur et des émotions seraient préservées.
En 2012, le service d’orthophonie tente durant cinq mois de créer un moyen de communication avec le patient, mais toutes ses tentatives échouent. Le personnel soignant affirme cependant détecter des signes de refus de traitement de la part de Vincent Lambert, qu’ils interprèteront comme un possible « refus de vivre ».
C’est sur la base de cet élément qu’en 2013 son médecin, le docteur Kariger, avec l’accord de l’épouse de Vincent Lambert, décide de cesser le processus d’alimentation et d’hydratation artificielles qui le maintenaient en vie. Il se base pour cela sur le code de santé publique, modifié en 2005 par la loi Leonetti qui encadre le traitement des malades en fin de vie. L’arrêt de la nutrition et l’arrêt progressif de l’hydratation sont entamés le 10 avril 2013.
Un acharnement judiciaire
Les parents de Vincent Lambert n’ayant pas été prévenus de cette décision ainsi que d’autres membres de sa famille, saisissent alors le tribunal administratif de Chalons-en Champagne sur base de l’article 2 de la Convention européenne des droits de l’homme relative au « droit à la vie », estimant que le manque d’information et de consultation bafoue ce droit. La nutrition sera reprise sur décision de justice dix-sept jours après avoir été interrompue.
Une nouvelle consultation est mise en place, réunissant comme prévu par la Loi Leonetti un collège de médecins, et la famille du patient au grand complet. Après cette consultation, la nutrition est de nouveau arrêtée, avant d’être encore une fois reprise sur ordre du tribunal administratif de Châlons-en-Champagne qui estime que la reprise du traitement n’était ni inutile ni disproportionnée. Peu après, l’épouse de Vincent Lambert saisit le Conseil d’Etat qui approuvera finalement la décision du médecin. Cet arrêt du Conseil d’Etat ne sera applicable que quelques heures avant d’être suspendu par la Cour européenne des droits de l’homme, saisie par la famille de Vincent Lambert, en attendant que cette dernière ne rende son verdict.
L’affaire Vincent Lambert au regard de la loi Leonetti
La loi Leonetti, applicable en France depuis 2005, est une réponse aux débats soulevés sur le droit à l’euthanasie. La loi ne permet pas l’euthanasie active, c’est à dire par exemple l’administration d’une substance létale. Cet acte peut être considéré comme un homicide volontaire. Elle prévoit en revanche la possibilité de cesser un traitement pourtant essentiel à la survie d’un patient.
La discorde dans l’affaire Lambert porte principalement sur deux articles de cette Loi : l’article 1 de la loi Leonetti modifiant le Code de la santé publique proscrit l’acharnement thérapeutique si celui ci n’a pour but que le maintien en vie du patient. Cet article donne le droit au médecin de cesser ou de ne pas entreprendre des actes de « prévention, d’investigation ou de soin » s’ils sont considérés comme une « obstination déraisonnable ».
L’article 9 permet quant à lui au médecin d’arrêter un traitement considéré comme disproportionné ou ayant pour unique but de maintenir en vie le patient, et cela même si ce dernier n’est plus en état d’exprimer sa dernière volonté. Cette décision est bien sûr encadrée, puisqu’elle doit être prise par un collège de médecins, après consultation des proches du patient (personne de confiance, famille).
C’est justement cet article 9 qui fut sujet à controverses et à différentes interprétations au niveau national. Car dans le cas de Vincent Lambert, il est question d’interrompre ou non l’alimentation et l’hydratation artificielles. Du point de vue du docteur Kariger, qui a pris la décision l’an dernier de cesser d’alimenter Vincent Lambert en accord avec son épouse, il s’agit de cesser un traitement qui maintient en vie un patient en phase terminale.
Mais certains membres de la famille de Vincent Lambert, à commencer par ses parents, n’ont pas la même lecture de la loi Leonetti. La discorde vient en fait de l’interprétation du terme « traitement » utilisé par le législateur dans l’article 9. Si le docteur Kariger voit en une alimentation et une hydratation artificielles un traitement permettant de garder son patient en vie, ses détracteurs y voient le refus d’alimenter une personne, qu’ils considèrent comme un traitement inhumain.
La loi Leonetti n’aura pas permis de trancher clairement sur le cas Lambert, mais cette affaire questionne la Loi, met en lumière ses failles et les points qui doivent être précisés. La notion de « traitement » notamment, doit-elle englober ou non l’assistance artificielle de fonctions vitales telles que l’alimentation, l’hydratation, ou encore la respiration. Le Conseil d’Etat a répondu à cette question en considérant cette assistance comme un traitement. Le concept de « fin de vie » est lui aussi questionné. Il doit être précisé s’il est lié à un état de physique, de conscience, ou à la durée de l’espérance de vie. Vincent Lambert est il en fin de vie au regard de la Loi, ou son état peut il être qualifié de « handicap » tel que le revendique sa mère ?
L’affaire Vincent Lambert à la CEDH
Le principe de base de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) est de vérifier la conformité des lois nationales avec les directives, conventions, traités européens sur la question des droits de l’homme, et notamment de la Convention européenne des droits de l’homme. On y juge un Etat et son droit au regard de la législation européenne qui est, comme le droit international, supérieure au droit national.
L’affaire Lambert ayant été jugée maintes fois en France et ne faisant pas consensus auprès des organes de justice du pays. Il est donc légitime qu’elle soit portée auprès de la Cour européenne des droits de l’homme. C’est la mère de Vincent Lambert qui saisit la CEDH dans le cadre de la procédure d’urgence prévue par l’article 39 du règlement. L’affaire sera jugée directement par la Grande Chambre de la Cour, instance suprême composée de dix-sept juges. La chambre de la cinquième section, normalement compétente pour ce dossier, s’en est dessaisie d’elle-même afin de gagner du temps en évitant un renvoi ultérieur vers la Grande chambre.
Les enjeux du procès Lambert à la CEDH
L’enjeu de l’entrée du procès Lambert à la CEDH n’est donc pas la uniquement de trancher sur ce cas précis. La Grande Chambre aura également pour rôle de vérifier si la loi Leonetti est conforme à la Convention européenne des droits de l’homme au regard de ses articles 2 et 3 régissant le droit à la vie et l’interdiction des traitements inhumains.
Les décisions rendues en Grande Chambre étant directement exécutoires, si la CEDH ne condamne pas la France et donne raison et au Conseil d’Etat, le processus pourrait commencer immédiatement. Même s’il est techniquement et administrativement possible pour la famille d’intenter de nouveaux recours au niveau français, il est peu probable qu’une instance nationale aille à l’encontre d’une décision de la CEDH.
Quelque soit l’issue du procès, c’est la première fois que le CEDH doit se prononcer sur ce type d’affaire. Cet arrêt constituera une jurisprudence et des recommandations pour les pays sous sa juridiction pour qu’ils adaptent leurs législations nationales. Les points de la loi Leonetti qui seront validés ou invalidés par la CEDH devront être respectés dans les lois nationales.