Affaire Patrick Dils : l’histoire sans fin
Après trois procès et 15 ans d’incarcération, Patrick Dils, initialement accusé des meurtres de deux enfants, est innocenté et retrouve la liberté. 28 ans après le drame, c’est au tour du tueur en série Francis Heaulme d’être jugé pour homicide volontaire.
Montigny-lès-Metz, le 28 septembre 1986, les corps de deux enfants sont retrouvés sans vie le long d’une voie de stockage de la SNCF. Ils auraient été tués à coups de pierres portés à la tête. Fait rare, trois personnes n’ayant aucun lien les unes avec les autres avouent les faits. L’un d’entre eux, Patrick Dils, alors âgé de 16 ans, avouera après 36 heures de garde à vue avoir perpétré le double meurtre. Il est jugé faible psychologiquement et n’a aucun mobile, mais c’est lui qui retiendra l’attention des enquêteurs, les deux autres hommes leur paraissant trop peu crédibles.
Une première condamnation à perpétuité
Le premier procès de Patrick Dils connaît déjà des rebondissements. Un an après la découverte des corps, il confiera à son avocat être innocent mais réitèrera ses aveux de culpabilité peu de temps après lors d’une reconstitution.
Il sera finalement condamné en janvier 1989 à une peine de prison à perpétuité. « L’excuse de minorité » au moment des faits n’a pas été prise en compte. Elle aurait pu ramener sa peine à 25 ans de réclusion. En revanche, tenant compte de cette minorité, le procès se tiendra à huis clos. La presse n’est pas conviée, mais elle tient dans sa grande majorité Patrick Dils pour coupable, et ne remet pas en cause la décision.
Deux tentatives infructueuses seront faites pour revenir sur cette condamnation. Un premier pourvoi en cassation sera rejeté en 1990, faute d’élément nouveau.
En 1994, c’est une demande de grâce présidentielle pour « raison d’humanité », décision pouvant avoir une forte résonnance politico-médiatique, qui sera refusée par François Mitterrand. Cette demande n’étant pas motivée par un quelconque doute pesant sur la culpabilité de Patrick Dils, le président de la République expliqua aux familles des victimes qu’il ne libèrerait pas de tueurs d’enfants. L’affaire Dils restera soumise au silence médiatique durant de longues années.
Le coup de théâtre
L’affaire Dils prendra un tournant décisif en 1997, lorsqu’elle sera croisée avec une autre affaire criminelle, celle de Francis Heaulme. Sans avouer le crime, le tueur en série avait indiqué cinq ans plus tôt à la gendarmerie de Rennes avoir été présent à Montigny-lès-Metz le jour du double meurtre. Comme à son habitude, il décrit la scène de crime comme s’il en avait été le témoin, de manière très détaillée.
Les deux enquêtes n’avaient pas pu être croisées plus tôt, Dils ayant été condamné, et l’affaire classée, l’affaire Dils n’apparaissait donc plus sur le fichier central de la gendarmerie.
Les avocats de Patrick Dils introduisent en 1999 un pourvoi en cassation sur base de ce nouvel élément. La demande est prise en compte et la décision de 1989 est cassée en 2001, ce qui signifie que la procédure recommence à son point de départ et que Dils, bien que toujours écroué, est désormais présumé innocent.
Selon son avocat, Maître Florand, la médiatisation de l’affaire fut un élément important dans la décision de la Cour de cassation. Patrick Dils qui ne s’était pas attiré l’estime des médias à l’époque de son premier procès voit son capital sympathie rehaussé auprès de l’opinion publique lorsqu’il est mis en balance avec celui d’un tueur en série bien connu.
Deuxième procès : des lois sur mesure ?
Un nouveau procès se tient à la Cour d’assises de Reims. Encouragé par la considération nouvelle que lui porte la presse, Dils demande un procès public, ce qui lui sera refusé, toujours pour cause de minorité au moment des faits. Durant le procès, l’avocat général lui reproche la « faiblesse dans sa prestation d’innocence ». Il est à nouveau reconnu coupable et condamné à 25 ans de réclusion criminelle.
Au moment où se pose la question de faire appel de la décision, Patrick Dils bénéficie successivement de deux nouvelles dispositions du système judiciaire français. La première lui permet de faire appel d’une condamnation en assises. La seconde, qui selon certains a été adoptée pour les besoins de l’affaire Dils, lui permet de bénéficier d’un procès public, malgré son statut de mineur au moment des faits.
Un nouveau procès se tient à Lyon. Francis Heaulme y apparaît comme simple témoin et nie toujours être l’auteur des faits. Patrick Dils sera acquitté et libéré le 24 avril 2002. Il sera dédommagé à hauteur d’un million d’euros, dont 300000 pour couvrir les frais de justice.
Il est très difficile de définir quels nouveaux éléments ont été déterminants dans cet acquittement.
La Cour s’est elle basée sur des éléments du dossier, comme les nouveaux témoignages de pêcheurs qui auraient aperçu Francis Heaulme le visage ensanglanté près du lieu du crime ? Ou encore la démonstration par les gendarmes que Dils n’aurait matériellement pas eu le temps de commettre le crime ?
La Cour s’est elle laissée influencer par la presse et l’opinion publique, ou encore la nouvelle attitude de Patrick Dils ? Ce dernier apparaît moins introverti que durant ses précédents procès, et fait part pour la première fois des violences et viols dont il est victime en prison, étant considéré par ses codétenus comme meurtrier d’enfants, la catégorie la moins appréciable du milieu carcéral.
Peut-on vendre son propre procès à la presse ?
Une fois Patrick Dils libéré, un dernier rebondissement vient encore une fois illustrer les relations complexes entre les médias et la Justice. Son avocat a vendu la couverture de sa libération à la chaine TF1 pour l’émission « sans aucun doute ». Les journalistes des autres médias, excédés d’être empêchés de faire leur travail, sont stoppés physiquement par les gardes du corps de la chaîne, y compris sur la route. Il ne sera autorisé par son avocat à parler que 15 minutes à la presse, pour calmer les critiques.
Des questions toujours sans réponses
28 ans plus tard, le double meurtre de Montigny-lès-Metz reste non-élucidé malgré l’acquittement et la libération de Patrick Dils. Depuis le début de l’enquête, aucun élément matériel ne permet d’émettre quelconque hypothèse sur l’auteur. Témoignages tardifs, aveux d’un mineur jugé immature et qui se rétracte, antécédents judiciaires d’un tueur en série, voilà les éléments donnés à la Cour pour statuer sur un crime qui a déchaîné les passions.
Depuis sa mise en examen en 2006, Francis Heaulme a toujours nié avoir été l’auteur de ces meurtres, et aucune preuve matérielle ne l’accuse. Il a d’ailleurs bénéficié d’un non-lieu en 2007 pour défaut de charges suffisantes, les tests ADN pratiqués n’ayant pas permis de le confondre.
Nouveau coup de théâtre dans cette affaire, un nouveau procès Heaulme qui s’est ouvert en mars 2014 a été reporté. La raison : de nouveaux témoignages accuseraient Henri Leclaire, suspecté et écarté il y a…28 ans !
L’affaire Dils a néanmoins permis de questionner la Justice. Elle est parvenue à se remettre en question malgré l’énormité de l’affaire et de la peine déjà purgée par Patrick Dills. Elle a également fait évoluer ses procédures et son fonctionnement.
L’affaire pose aussi la question de la hiérarchie des éléments à charge. Entre des aveux, des témoignages, des antécédents, un comportement face aux jurés ou aux enquêteurs, un mobile… quel élément prévaut ?
Bien que la Justice ait peur du vide et que les familles de victimes aient besoin d’une explication pour faire leur deuil, l’issue du procès Dils a montré les risques de chercher un coupable à tout prix. La lumière ne sera peut-être jamais complètement faite sur cette affaire, mais malgré la frustration provoquée, cela démontre que la Justice est humaine et qu’elle doit pouvoir se remettre en question et admettre son incapacité à résoudre certaines affaires.