Affaire Loukos : Dallas au pays des Soviets
C’est une véritable guerre que se livrent depuis quelques années les dirigeants de l’ex-numéro un du pétrole Loukos et le Kremlin… Faute d’être dédommagés par la Russie, les anciens actionnaires de Loukos n’ont pas ménagé leur peine pour obtenir réparation. « C’est sans fin », soupire une source proche du dossier. Retour sur un dossier ou les enjeux diplomatiques ont pris sur le pas sur des enjeux financiers pourtant considérables.
Un oligarque surpuissant
Dans les années 1990, Mikhaïl Khodorkovski devient l’un des hommes d’affaires les plus puissants de la toute nouvelle fédération de Russie. En quelques années, il parvient à faire fortune jusqu’à devenir le leader du marché pétrolier en Russie, faisant de lui un homme riche à milliards.
Mais en 2003, tout bascule lorsque l’oligarque décide de se lancer en politique et de soutenir des partis d’opposition lors des élections législatives. C’est le début de sa disgrâce au Kremlin et d’une rapide descente aux enfers.
Une cible à abattre : Mikhaïl Khodorkovski
Poutine accuse alors le magnat du pétrole de fraude fiscale et d’escroquerie à grande échelle et lui réclame 27 milliards de dollars d’arriérés d’impôts. Un procès est alors organisé avec un jugement expéditif : l’entreprise Loukos est démantelé et placé en liquidation judiciaire et son P-DG se retrouve derrière les barreaux.
Pour Alain Guillomes, spécialiste de la Russie « l’ensemble des faits reprochés étaient fabriqués sur mesure pour le mettre en prison. L’Etat russe voulait reprendre le contrôle du secteur pétrolier avec des règles du jeu définies par le Kremlin ». On ne badine pas avec Poutine ! D’ailleurs, quelques mois plus tard dans l’indifférence générale Loukos sera vendu à prix cassé à un proche de Poutine.
Mais les actionnaires de l’entreprise bien décidés à ne pas en rester là portent l’affaire devant la cours d’arbitrage de La Haye et exigent une compensation financière pour le préjudice subi. Une procédure longue qui va durer pratiquement neuf ans.
Des rebondissements étonnants
Premier rebondissement : alors que la cour de la Haye n’a pas encore rendu son verdict, Khodorvoski est gracié par Poutine en décembre 2013. Faut-il y voir un rapport de cause à effet avec les Jeux olympiques de Sotchi qui se tiennent deux mois plus tard ? Des JO où le président russe souhaite faire bonne figure auprès des dirigeants internationaux. Quoi qu’il en soit après sa libération, l ‘ex-numéro un du pétrole décide de s’exiler à Berlin avec pour objectif d’obtenir sa réhabilitation.
En juillet 2014, deuxième rebondissement : la cour d’arbitrage de la Haye condamne l’Etat russe à verser aux anciens actionnaires de Loukos une amende de 50 milliards de dollars. Mikhaïl Khodorkovski, ayant personnellement renoncé à poursuivre le combat, trois coquilles offshores, immatriculées à Chypre, sont censées récupérer la somme.
Pour Emmanuel Gallard, ancien actionnaire de Loukos, ce jour est à marquer d’une pierre blanche: « c’est un grand jour pour l’Etat de droit , une superpuissance comme la Russie a été unanimement reconnu de violations du droit international par la plus grand tribunal indépendant du monde ». Mais Moscou décide de faire appel du jugement. Pour l’Etat russe, il s’agit d’un «un différend fiscal interne à la Russie» et un tribunal néerlandais n’a pas à y mettre son nez. La Russie avait toutefois accepté de participer au processus arbitral tout en soulignant que cela ne valait pas «reconnaissance de la compétence» du tribunal de La Haye créant ainsi un véritable imbroglio.
Mais afin de de se conformer au jugement, de nombreux pays d’Europe occidentale décident alors de geler leurs actifs russes sur leur territoire. En France, même si les chiffres restent assez opaques cela concernerait une quarantaine de banques et une dizaine d’immeubles. Une affaire de gros sous pouvant avoir des répercussions diplomatiques entre la France et la Russie.
Et ultime rebondissement en date lorsque le 20 avril 2016, le tribunal du district de La Haye décide d’annuler la sentence condamnant l’Etat russe à verser 50 milliards de dollars aux anciens actionnaires. Un jugement pour vice de forme sur la procédure mais pas sur le fond de l’affaire. La confusion juridique, menaçant de virer à la guerre diplomatique entre la Russie et plusieurs pays occidentaux n’est pourtant pas terminé puisque les plaignants ont décidé de faire appel.
La Cour européenne des droits de l’homme
Parallèlement à la décision arbitrale, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait en juillet 2014 la Russie à dédommager les anciens actionnaires de Loukos à hauteur de 1,9 milliards d’euros. Ses ex-dirigeants n’ayant pas eu le droit « à un procès équitable ». Cette sanction-là est définitive, sans voie de recours. Ne reste plus qu’à l’appliquer, mais là encore Le Kremlin ne souhaite pas coopérer.