Affaire Leonarda : quand le politique se mêle du droit
French President Francois Hollande listens to Latvia’s Prime Minister Valdis Dombrovskis (unseen) after a meeting at the Elysee Palace in Paris, April 19, 2013. REUTERS/Philippe Wojazer (FRANCE – Tags: POLITICS HEADSHOT) – RTXYSB6
Le 9 octobre 2014, une famille d‘ethnie rom, un couple et ses sept enfants, dont une majeure, et une adolescente de quinze ans, Leonarda, sont expulsés du territoire français vers le Kosovo, pays dont l’Etat français présuppose qu’ils ont la nationalité au vu de leurs déclarations antérieures. Une circulaire non contraignante, une arrestation en pleine sortie scolaire, une décision du président de la République d’accorder un titre de séjour à une mineure d’âge sans pour autant admettre le retour de ses parents, à lire le dossier Leonarda (nom donné par la presse), on croirait presque que le droit des étranger a perdu tout sens de l’objectivité. Va-t-on vers une justice politico-médiatique, dans laquelle des décisions aussi impactantes que le droit à vivre ou non sur le sol français seraient le fruit d’une négociation médiatisée entre l’exécutif, l’opinion publique et les justiciables ?
La charge de la preuve dans la demande d’asile
Toute personne travaillant avec des demandeurs d’asile a déjà été confrontée à plusieurs de ces familles roms issues du bloc yougoslave, à qui l’on a arbitrairement assigné de nouvelles nationalités pour des besoins administratifs.
Au lendemain des guerres ethniques qui ont bouleversé la Yougoslavie, de nouvelles frontières sont tracées, tentant de respecter autant que faire se peut les spécificités ethniques et religieuses de chaque territoire. L’ethnie rom, présente de manière minoritaire sur tout le territoire yougoslave, n’est pas prise en compte dans ces tracés, et se voit particulièrement rejetée du système social, scolaire et du marché de l’emploi par ces nouveaux Etats dans lesquels nationalisme et revendications identitaires sont souvent exacerbés. Certaines familles fuient cette situation et demandent l’asile dans les pays européens, proches.
Mais lorsque l’OFPRA (office français de protection pour les réfugiés et les apatrides) statue sur une demande d’asile, il ne prend pas la décision de décerner à une personne (ou non) un statut de réfugié. Il reconnaît un statut antérieur à la demande. Cette reconnaissance doit donc suivre scrupuleusement les termes de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés. Si l’article premier de cette convention prévoit bien l’origine ethnique comme cause possible de persécutions (les opinions politiques ne sont que l’une des cinq causes prévues par la convention), le texte entend protéger des « personnes » et non des groupes ethniques entiers. Autrement dit, le fait d’être rom du Kosovo ne suffit pas. Il faut prouver de manière individualisée, à l’aide d’éléments matériels le bien fondé de la crainte du demandeur d’asile. Dans certaines situations (emprisonnements, séquelles physiques dues à des actes de torture), la preuve est tangible. Mais lorsque la persécution n’est pas physique, qu’elle consiste en une exclusion de la vie sociale, il est très difficile de prouver qu’une situation individuelle d’extrême pauvreté et un manque de perspectives d’avenir soient liés uniquement à un facteur ethnique. La charge de la preuve incombant essentiellement au demandeur, la famille Dibrani qui n’a pu fournir comme éléments de preuves que trois lettres, dont l’une n’est pas recevable, puisqu’elle n’a pas été traduite, a été déboutée de ses deux demandes d’asile et des deux appels introduits suite à ses refus.
Après un premier refus en appel prononcé par la CNDA (Cour nationale du droit d’asile), la famille Dibrani introduira une nouvelle demande d’asile le 28 avril 2011. La demande sera rejetée à nouveau, n’étant pas basée sur de nouveaux éléments, mais permettra à la famille de rendre temporairement inapplicable un OQFT (ordre de quitter le territoire français) à venir, du fait du principe de non refoulement des demandeurs d’asile inscrit dans la Convention de Genève de 1951. Après appel et réexamen, cet OQFT sera confirmé en février 2013. La demande d’asile ayant été rejetée, l’OQFT est exécutoire, puisque le principe de non refoulement n’est plus applicable.
Des demandes de régularisation rejetées
En 2013, après des tentatives infructueuses de se voir reconnaître le statut de réfugié et une présence qui s’éternise sur le territoire français, la famille tente de faire régulariser sa situation en vertu de la nouvelle circulaire rédigée par Manuel Valls en 2012. Il ne s’agit plus de demander l’asile, mais de régulariser la présence d’une personne ou d’une famille qui est en séjour illégal en France, notamment pour des raisons familiales et scolaires.
La dite circulaire prévoit plusieurs cas de figures permettant l’examen d’une demande de régularisation de séjour. N’ayant pu détecter de « talent exceptionnel » chez la famille Dibrani, ni de « service rendu à la collectivité », l’avocate de la famille jouera donc la carte de la scolarisation des enfants, qui prévoit au cas par cas la possibilité de régulariser le séjour d’une famille présente sur le territoire depuis plus de cinq ans et dont les enfants sont scolarisés depuis au moins trois ans.
La demande sera refusée, tout d’abord sur base du fait objectif que la famille n’était pas présente sur le territoire depuis plus de cinq ans (ou tout du moins ne pouvait en apporter la preuve), mais également sur la base d’éléments plus subjectifs tels que le manque d’effort pour s’insérer dans la société française ou la non maîtrise du français de Madame Dibrani. Ces éléments pourraient être recevables s’ils émanaient d’un service indépendant et étaient basés sur des données mesurables (niveau à un test de langue par exemple).
La circulaire n’est pas contraignante, et il n’y a pas d’organe décisionnel centralisé (type OFPRA pour les questions relatives à l’asile) pour la faire appliquer. Chaque préfecture peut subjectivement accepter ou non une demande de régularisation sans justification, même si l’étranger répond aux conditions de ladite circulaire.
Une expulsion qui viole le sanctuaire scolaire
Après l’enfermement de père de Leonarda, interpellé lors d’un contrôle d’identité et la mise à disposition du reste de la famille en « centre d’hébergement », l’éloignement des Dibrani est prévu le 9 octobre 2014 (le 8 pour le père). Ce jour là, une seule personne manque à l’appel, Leonarda, alors âgée de 15 ans, qui est partie en sortie scolaire avec sa classe de troisième. La PAF (Police de l’Air et des Frontières) ordonne à l’enseignante présente de faire arrêter de bus dans lequel se trouve Leonarda et toute sa classe. L’enseignante s’exécute non sans quelques réticences et la jeune fille est interpellée et éloignée vers le Kosovo avec le reste de sa famille.
Cette interpellation sera vivement critiquée, puisque violant le sanctuaire qu’est censée être l’école. L’obligation scolaire (et le droit à la scolarité) jusqu’à l’âge de seize ans s’applique à tous les enfants, quelque soit leur situation administrative. Ne pas interpeller d’enfants en situation irrégulière à l’école ou lors d’activités scolaires c’est éviter que les parents ne les prive de scolarité de peur d’une arrestation, et donc garantir un accès effectif à l’éducation pour tous.
Une proposition saugrenue
Face à la médiatisation de la fillette, qui s’adresse directement au président Hollande l’affaire prend une tournure politique. François Hollande fait alors à Leonarda une proposition que certains qualifieront de « saugrenue », celle de rentrer en France pour y poursuivre ses études, mais sans le reste de sa famille. Outre le fait que le chef de l’Etat revienne sur une décision de justice, la proposition choque, et est à la limite de la légalité. En effet, si la jeune fille n’est pas forcée de rentrer en France, elle doit être si elle veut finir sa scolarité, éloignée du reste de sa famille, ce qui est contraire à la Convention des Droits de l’Enfant.
Une intervention du chef de l’Etat sur les questions de séjour est en fait possible, notamment dans les affaires d’asile. En effet, la reconnaissance du statut de réfugié, revenant à reconnaitre le manque de capacité ou de volonté d’un Etat à protéger certains de ses citoyens, voire la volonté de leur nuire, cet acte peut avoir une influence sur les relations internationales, raison pour laquelle une intervention de l’exécutif est envisageable. Ainsi, en offrant l’asile au lanceur d’alerte Julian Assange, le président équatorien Rafael Correa pose un acte hautement politique, et lance un affront aux Etats-Unis et à la NSA. En accordant à Leonarda un droit de séjour sans sa famille afin qu’elle puisse y finir sa scolarité, François Hollande ne pose qu’un acte médiatique visant à protéger sa popularité alors en berne.
Par cet acte, le président Hollande laisse penser qu’il est plus efficace de s’adresser directement au président de la République via une chaîne d’infos en continu que d’introduire un recours contre une décision prise sur base d’une directive non contraignante… Une idée de la justice peu démocratique.
Une expulsion d’apatrides ?
Une fois rentrée au Kosovo, la famille Dibrani tente un ultime recours en revendiquant la naissance de tous ses membres (à l’exception du père) en Italie. A la lecture de ces nouvelles déclarations, on se rend bien compte que sont mal connues des autorités non seulement le parcours de la famille, mais aussi leur Etat civil. Les autorités italiennes contactées par la France sur ce dossier ont enregistré la famille Dibrani comme étant « sans nationalité ».
Un étranger formulant une demande d’asile assure ne plus pouvoir ou ne plus vouloir se réclamer de la protection du pays dont il a la nationalité. Il n’est pour cette raison pas autorisé à prendre contact avec les administrations de son pays, ni de s’y rendre, pas même dans une ambassade ou un consulat. Devant cette impossibilité de renouveler un passeport, un acte de naissance, ou tout autre document prouvant la nationalité des demandeurs, qui en sont fréquemment dépourvus, leur identité (y compris leur nom et leur nationalité) est souvent enregistrée sur base de simples déclarations.
Mais si la famille entre dans les conditions pour une demande de statut d’apatrides, elle n’est pas garantie de pouvoir faire reconnaître ce statut en France. Car si le principe de non-refoulement contraint la France (comme tous les autres pays signataires de la Convention de Genève) à accueillir provisoirement des personnes entrées illégalement sur son territoire et introduisant une demande d’asile ou d’apatridie, rares sont les cas de délivrance d’un visa pour un demandeur qui est à l’étranger.