40 ans après l’arrivée au pouvoir de Pol Pot au Cambodge, où en est-on du tribunal pénal international des Khmers rouges ?
Près de 40 ans après les crimes des Khmers rouges commis entre 17975 et 1979, le tribunal pénal international des Khmers rouges a condamné deux hauts responsables et Douch, directeur de la prison khmère rouge S-21. Où en est-on du tribunal pénal international des Khmers rouges ?
Le 17 avril 1975, les Khmers rouges prenaient le pouvoir au Cambodge et évacuaient de force tous les citadins vers les campagnes. S’en suivit jusqu’au 7 janvier 1979 l’un des plus grands drames humains de l’ère moderne. Plus de 2 millions de Cambodgiens ont péri, de faim, de travail forcé, torturés ou exécutés, durant les 3 ans, 8 mois et 20 jours que dura le régime de Pol Pot.
Un tribunal hybride pour juger les Khmers rouges
Depuis 2007, les Chambres extraordinaires des tribunaux cambodgiens (CETC) traduisent en justice les principaux responsables des crimes perpétrés durant le Kampuchea Démocratique. En 1997, quelques années après la fin des conflits civils au Cambodge, le gouvernement royal du Cambodge demande aux Nations unies son assistance internationale pour organiser les procès des Khmers rouges. Il aura fallu attendre 2003 pour qu’un accord soit trouvé sur le fond et la forme du tribunal.
Il s’agit d’un tribunal « hybride » permettant une implication nationale, tout en respectant les standards internationaux. Juges, procureurs, et avocats de la défense regroupent cambodgiens et internationaux, avec une majorité de cambodgiens.
Un premier procès, 30 ans après les faits
Seuls les dirigeants et cadres khmers rouges à l’origine des crimes les plus graves peuvent être jugés. Les Khmers rouges de rang inférieur ne peuvent être poursuivis, dans un souci de réconciliation nationale. Aujourd’hui, les anciens Khmers rouges se situent à tous les échelons de la société cambodgienne, y compris au gouvernement. Beaucoup de survivants vivent aux côtés de leurs anciens tortionnaires. Le Premier ministre actuel, Hun Sen, a lui-même été Khmer rouge, avant de fuir au Vietnam en 1978 afin d’échapper aux purges internes.
Le cas 001 du tribunal, conduit en 2009 et 2010 après plus de 2 ans d’investigation, a concerné Douch, directeur de la tristement célèbre prison S-21, où plus de 14000 personnes ont été enfermées, souvent torturées, avant exécution. Douch, le maître des forges de l’enfer, a reconnu une grande partie des faits et demandé pardon aux victimes au début du procès. Il a toutefois finit par arrêter sa coopération, révoquer son avocat international et réclamer son acquittement.
Douch a été condamné en appel à la peine maximale, à savoir l’emprisonnement à perpétuité, pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre, soulageant ainsi les parties civiles insatisfaites de la condamnation de 35 ans prononcée en première instance.
2 dirigeants condamnés seulement depuis 2007
Douch était considéré comme un exécuteur et non un responsable de premier rang du régime. En 2011 a débuté un second procès concernant initialement les quatre plus grands dirigeants encore vivants du Kampuchea Démocratique : Nuon Chea, idéologue du régime, Khieu Samphan, ancien chef d’Etat, Ieng Sary, ancien ministre des Affaires étrangères, et sa femme Ieng Thirith, ancienne ministre des Affaires sociales. Ieng Sary est décédé en mars 2013, et Ieng Thirith a été jugée inapte à un procès.
Contrairement à Douch, Nuon Chea et Khieu Samphan nient les faits qui leur sont reprochés et ont fait valoir régulièrement leur droit au silence. Etant donné l’âge avancé des accusés, leur cas a été divisé en deux dossiers distincts, dans le but d’arriver à un premier verdict au plus vite.
Le premier dossier concernait l’évacuation de Phnom Penh et les déplacements forcés des populations, ainsi que l’élimination des membres de l’ancien régime, la république de Lon Nol. Il a abouti en août 2014 à leur condamnation à perpétuité, sentence confirmée en appel.
Le deuxième dossier est en cours depuis octobre 2014 et concerne cette fois les charges de génocide contre la population vietnamienne et les Cham musulmans au Cambodge, les mariages forcés, les purges internes, les crimes contre les moines bouddhistes, ainsi que les crimes commis dans plusieurs camps de travail et prisons.
Les grands absents du box des accusés
Outre Ieng Sary et Ieng Thirith, on note évidemment l’absence de Pol Pot, mort en 1998 à Anlong Veng, dernier bastion khmer rouge. Son Sen, patron de la police secrète, exécuté en 1997 sous les ordres de Pol Pot, et le « boucher » Ta Mok, mort en 2006, ont eux aussi disparu sans jugement.
Le 3 mars 2015, le co-juge d’instruction international a signé l’inculpation de Meas Muth, ancien commandant de la marine, et d’Im Chaem, ancienne chef de district. Cette inculpation n’a pas été soutenue par son homologue cambodgien You Bounleng et aucune arrestation n’a encore été faite.
Les observateurs y voient un blocage du gouvernement. Le Premier ministre cambodgien, estimant que ces nouvelles arrestations mettraient le feu aux poudres, avait annoncé en 2009 être « prêt à accepter que ce tribunal échoue, mais (…) ne permettrait pas que le Cambodge connaisse de nouveau la guerre ».
Des salaires impayés pendant des mois
Les CETC sont financées par des donations volontaires. Le Japon a contribué pour moitié, suivi par l’Australie, les États-Unis, l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni, la Norvège et l’Union européenne.
Plusieurs fois, les employés du tribunal n’ont pas pu être payés durant plusieurs mois en raison de difficultés financières. Depuis le début du tribunal, de nombreuses allégations de corruption ont été soulevées, dans ce pays où l’indice de corruption le place au 156e rang sur 175 pays, conséquence directe des longues années de conflit.
Plus de 4 000 parties civiles aux procès
Pour le procès de Douch, 90 victimes ont participé en tant que parties civiles, et pour le premier procès de Nuon Chea et Khieu Samphan, 3866 victimes. Selon certains, ce tribunal est surtout symbolique car il permet de montrer aux victimes que les crimes des Khmers rouges ne resteront pas impunis.
Avant le début des procès, les crimes des polpotistes n’étaient pas discutés au Cambodge. La majorité de la population née après 1979 n’en avait même pas connaissance, cette période n’a été ajoutée au programme scolaire d’Histoire que récemment. Selon un sondage de 2011, 81% des sondés cambodgiens estimaient que ce tribunal favoriserait la réconciliation nationale, et 76% que le tribunal apporterait justice aux victimes et à leurs familles. Plus de 200 000 personnes, des fermiers cambodgiens aux dignitaires étrangers, ont assisté aux audiences et visites publiques.
Comme tout autre tribunal international, ce tribunal des Khmers rouges n’est donc pas parfait et est tributaire de la politique locale et des problèmes de financements. Il aura néanmoins permis de condamner trois sérieux criminels khmers rouges, tout en considérant les besoins des victimes et en initiant au Cambodge l’important devoir de mémoire.