100 ème anniversaire du génocide arménien; le long chemin vers la reconnaissance
Le 24 avril 2015 est le jour de la commémoration des 100 ans du génocide arménien. 100 ans et un flou juridique persistant sur la terminologie adéquate pour décrire les atrocités commises envers le peuple arménien d’avril 1915 à juillet 1916. 100 ans que la Turquie, plongée dans l’amnésie d’un passé indésirable, refuse le terme génocide.
Si on retient 1915, la persécution des Arméniens débuta bien avant et ce dès la fin du XIXème siècle, où le sultan Abdul-Hamid II commandita le massacre de 200 à 250 000 arméniens. Le sultan va ensuite être déposé par le mouvement des Jeunes-Turcs, qui va fonder son pouvoir sur une idéologie s’appuyant sur un nationalisme exacerbé et une vision radicalement homogène de la nation turque. Ils vont commencer à s’attaquer aux Arméniens d’Asie.
Mais c’est en 1915, à l’aube de la Première Guerre mondiale que le génocide commença. La décadence de l’Empire ottoman, “l’homme malade de l’Europe” et la déclaration de la guerre en novembre 1914 vont être un prétexte pour déplacer dans des conditions très difficiles les populations arméniennes vers la Syrie dont une grande partie périra en chemin. L’exécution des élites intellectuelles arméniennes d’Istanbul dans la nuit du 24 au 25 avril 1915 expressément ordonnée par le ministre de l’Intérieur Talaat Pacha va marquer le début d’un acharnement. S’en suivent le massacre des Arméniens de l’armée puis celui des Arméniens des sept provinces. Un bilan lourd; avec au total d’un million et cinq cent mille personnes décimées, soit les deux tiers de la population arménienne de l’Empire ottoman.
Pour des raisons politiques évidentes ce génocide est par la suite nié, et l’Allemagne alliée de la Turquie censure toute information sur le sujet. Même si le traité de Sèvres signé en 1920 entre les Alliés et l’Empire ottoman, prévoyait la mise en jugement des responsables du génocide, l’arrivée au pouvoir d’Atatürk (père des Turcs) et fondateur de la nouvelle République de Turquie amena l’amnistie générale.
Qu’en est-il cent ans après? Bien que la communauté internationale aille vers une reconnaissance parfois très tardive du génocide commis par l’Empire ottoman, un long chemin reste à faire du côté de la Turquie.
Vers une lente reconnaissance internationale du génocide arménien
Le premier pays à reconnaître officiellement le massacre arménien est l’Uruguay en 1965. Par la suite, 23 pays vont reconnaître les atrocités commises, avec récemment la Syrie en mars 2015. Une déclaration très explicite du Vatican a également été prononcée par le pape François le 12 avril 2015 qualifiant le génocide arménien de « premier génocide du XXème siècle ».
Les reconnaissances des états et les terminologies utilisées varient selon l’engagement politique et stratégique des différents pays envers la Turquie. Du terme “génocide” à “martyres” ou encore “massacres” pour les plus politiquement corrects comme l’Allemagne, les pays s’impliquent plus ou moins pour cette cause. Cela se reflète également au travers des types de reconnaissances. Par exemple, aux Etats-Unis, Canada, il s’agit de résolution au parlement où les textes n’ont pas force de loi. Quid de l’importance de la Turquie à l’OTAN? En Uruguay, Argentine, à Chypre et en France (2001) une loi a été adoptée pour la reconnaissance du génocide établissant une journée nationale d’hommage aux victimes du massacre. D’autres pays sont cependant encore en débat comme le Royaume-Uni.
Concernant les institutions internationales, L’ONU (1985), le Parlement européen (1987), le Conseil de l’Europe (1998) et le Parlement du Mercosur (2007) reconnaissent le génocide arménien.
Génocide arménien ? L’amnésie d’un passé indésirable
La communauté internationale souhaite qu’Ankara reconnaisse sa responsabilité dans le génocide arménien. Même si celui-ci s’est déroulé avant la Turquie moderne (création de 1923), cette dernière s’étant affirmée comme l’héritière de l’Empire ottoman.
Jusqu’aujourd’hui le pouvoir turc rejette le terme de génocide ainsi que toute responsabilité dans les massacres du peuple arménien. Les chiffres officiels turcs reconnaissent le massacre de 500 000 Arméniens expliquant cela par le fait qu’ils étaient du côté des turcs durant la Première Guerre mondiale ou bien par la famine et les maladies.
Au début du 21ème siècle, on aurait pu croire à une évolution grâce au processus de normalisation diplomatique entre la Turquie et l’Arménie signé en 2009, à Zurich. De plus, depuis 2010, chaque 24 avril, des centaines et milliers de personnes se réunissent sur la place Taksim d’Istanbul en hommage aux victimes du génocide. Un fait impensable auparavant ! Mieux une once d’espoir a été soulevée, le 24 avril 2014, lorsqu’Erdogan a prononcé ses “condoléances” aux victimes. Néanmoins, son discours resta sans grande précision.
Douche froide sur ces espoirs, cette année Erdogan, a eu la bonne et étrange idée de programmer la commémoration pour le centenaire de la campagne de Gallipoli le… 24 avril. Ironie du sort ou message clair… il a bien sûr pensé à inviter son homologue arménien le président Sarkissian!
Enjeux financiers et territoriaux pour la Turquie
Cette négation du pourvoir turc peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Premièrement, cela peut être pour préserver l’unité nationale étant donné que de nombreux hommes politiques turcs sont issus du mouvement des Jeunes-Turcs. En plus, il y a évidemment des enjeux financiers et territoriaux pour la Turquie. Cela ouvrirait la voie vers des dommages-intérêts pour les victimes et cela amènerait à restituer des territoires à l’Arménie… ce qui, bien sûr, n’est pas du tout du gout du gouvernement turc…comme pour Chypre !