Sylvie Paul : 30 ans d’emprisonnement et de rébellion
D’une prison parisienne à l’Algérie colonisée en passant par les camps de concentration, l’histoire de Sylvie Paul, c’est d’abord celle d’une d’une femme sulfureuse à l’âme sauvage, et qui a fasciné la France des années 50.
La fugitive
Le 16 septembre 1951 à Paris, après trois mois de disparition, le corps de Jeanne Perron est retrouvé emmuré dans la cave de son hôtel. Très vite, la police suspecte Sylvie Paul, la locataire et amie de la victime, devenue gérante de l’hôtel en son absence. Son casier judiciaire est accablant. À 38 ans, Sylvie Paul a connu plusieurs passages en maison de redressement, puis en prison pour vols, escroqueries, vagabondage…
Peu avant la découverte du corps de son amie, Sylvie Paul disparaît avec deux enfants en bas âge et deux mois de loyer d’avance de la part de chacun des locataires de l’hôtel. La police se met en chasse.
« À la maison, on nous envoyait voler. Nous étions une famille de voleurs »
Benjamine d’une famille ouvrière, elle arrête l’école à 12 ans pour subvenir aux besoins de la famille. Son beau-père, un homme alcoolique qui la bat régulièrement, la force à voler. Elle fugue à 16 ans pour échapper à ses avances. Devenue vagabonde, elle est arrêtée une première fois en 1930 pour violation de domicile et vol, et ainsi commence un long parcours carcéral. De 17 à 21 ans, Sylvie Paul n’a pour foyer que les maisons de correction, les patronages et les prisons pour jeunes filles. Elle s’en évade à plusieurs reprises avant se faire reprendre, puis transférer vers une autre, encore plus stricte. Plus que des écoles, ce sont des bagnes, où les punitions corporelles sont légions et où il est même interdit de parler. Plutôt que de redresser, ces oubliettes de la société française brisent des jeunes femmes. Pour Sylvie Paul, c’est là-bas que germent les graines de la révolte. Et de la vengeance.
Majeure et enfin libre, elle s’installe à Pigalle où elle vit de vols et d’escroqueries. Après plusieurs années à jouer avec la loi, entrecoupées de passages en prison, vient l’Occupation. En 1941, elle est encore arrêtée pour avoir volé des plans militaires à Cherbourg, puis pour tentative de vol sur un officier allemand. Elle fréquente les prisons de Saint-Lô, Caen puis Lisieux et enfin Rouen. Partout, elle se fait remarquer pour son indiscipline.
Sylvie la rebelle insulte les Allemands, refuse d’obéir à ses geôliers. Lorsque le célèbre résistant Honoré d’Estienne d’Orves est emmené au peloton d’exécution, Sylvie fait chanter la Marseillaise à toute la prison ! Un courage punit par une déportation en Allemagne avec des centaines d’autres résistantes. Ces dernières aiment la détermination violente de Sylvie Paul, et la poussent à tenter en vain l’évasion. Au camp de Ravensbrück, elle est torturée pendant des jours, avant d’être transférée à Bergen-Belsen. Une fois le camp libéré par les Britanniques en 1945, elle reste sur place pour soigner ses camarades atteintes de typhus.
Une accusée accusatrice
Sans ressources et très affaiblie (elle pèse une trentaine de kilos à son retour d’Allemagne), elle est hébergée par des amies qu’elle a connues dans les camps. Elle ne manque pas d’en voler quelques-unes au passage, et en 1947, Sylvie Paul est incarcérée à la caserne des Tourelles. Elle y rencontre Jeanne Perron qui sera sa victime quatre ans plus tard.
Peu de semaines après la découverte du corps de Jeanne Perron, Abdallah Soualhi, amant de Sylvie Paul et père de son troisième enfant, est arrêté en Algérie. Puis elle est, à son tour, arrêtée à Sétif. Si elle commence par nier les accusations, elle avoue après six jours d’interrogatoire. Elle explique ainsi aux enquêteurs que les deux femmes ont un temps partagé le même lit, avant que Sylvie ne tombe dans les bras de Soualhi. Jeanne Perron se sent alors trahie, une scène de jalousie plus violente que les autres éclate, et Sylvie Paul frappe mortellement Jeanne d’un coup de bouteille à la tête.
Le procès du couple dure trois jours. Faute de preuve, Abdallah Soualhi est acquitté. Brillamment défendue par son avocate, maître Simone Cornec, Sylvie Paul quant à elle est condamnée à dix ans de réclusion. Une peine mesurée, justifiée par le passé miséreux et l’enfance brisée, ainsi que les témoignages élogieux des camarades déportées de l’accusée. Néanmoins, elle perd la garde de ses enfants, qu’elle tentera de regagner à sa sortie de prison en 1960. Sans succès.
47 ans de vie, 30 de chaînes
Seule, à nouveau sans ressources et après une tentative de suicide, elle s’enferme à nouveau, cette fois volontairement. Après les maisons de redressement, la prison et les camps, elle entre au couvent en 1962.
Elle y meurt en 1984, recluse mais libre. À la fois héroïne et meurtrière, elle s’éteint dans le silence, mais probablement toujours aussi révoltée contre le système qui l’a abandonné dans ce que son avocate a appelé les « pourrissoirs de la justice ».
Photos : franceinter.fr / journals.openedition.org