Succession : le cas des animaux de compagnie
Le célèbre créateur aux lunettes noires n’a jamais fait mystère de la place accordée à son chat dans sa vie, et même au-delà. Abordant à plusieurs reprises le devenir de son félin superstar après sa disparition, le couturier avait déclaré vouloir faire de Choupette sa principale héritière. Depuis le décès du styliste, disparu le 19 février dernier et qui avait pris toutes les dispositions nécessaires, le félin se retrouve donc avec une fortune de plusieurs millions d’euros. Choquante ou anecdotique, la décision de Karl Lagerfeld a rouvert le débat sur la pratique de l’héritage envers les animaux. Si elle est assez répandue dans les pays anglo-saxons, il n’en va pas de même dans l’Hexagone, où pourtant près d’un foyer sur deux possède un animal de compagnie.
En France, il est impossible de léguer directement de l’argent à son animal favori qui, s’il est considéré comme un « être vivant doué de sensibilité » (article 515-14 du Code civil) n’en demeure pas moins soumis au régime des biens meubles (article 528 du Code civil). Inutile donc de tenter de transformer sa petite bête fétiche en millionnaire ni de lui transmettre des possessions immobilières.
Ce qui ne veut pas dire pour autant qu’aucune solution alternative n’existe. Une manière de s’assurer du bon devenir de son animal de compagnie après un décès consiste à créer un legs à charge qui désignera responsable de l’animal une association ou une personne. Cette responsabilité sera assortie d’obligations régissant le bon usage des fonds ainsi transmis. Et si la personne en charge de l’animal vient elle-même à disparaître, un legs de residuo permettra de désigner un nouveau bénéficiaire soumis aux mêmes obligations.
Le droit français prévoit toutefois que ces legs ne doivent pas flouer les ayants droits directs de la personne décédée. Autre condition à remplir : les demandes formulées à l’égard des personnes désignées comme responsables de l’animal ne doivent pas se révéler trop compliquées, excentriques ou contraires aux bonnes mœurs.
Choupette à l’abri du besoin
« S’il m’arrive quelque chose, la personne qui s’en occupera ne sera pas dans la misère », avait déclaré Karl Lagerfeld à propos de sa chatte Choupette, sur le plateau du Divan en février 2015. Lors du décès du créateur, c’est donc par clause testamentaire qu’une personne de confiance a été désignée pour assurer le bien-être de l’animal. Françoise, qui s’en occupait déjà deux semaines par mois, a touché un chèque dont le montant n’a pas été rendu public, mais qui devrait suffire à maintenir le train de vie somptueux que le félin a toujours connu. Outre la somme garantissant le confort de cet « aristochat », Françoise continuera de percevoir un salaire mensuel tout en profitant d’une maison dont elle aura la jouissance jusqu’à la mort du chat.
Aussi incroyable ou même choquant que cela puisse paraître, tout dans cet épilogue demeure conforme au droit français. Une autre solution aurait pu être envisagée : de nationalité allemande, Karl Lagerfeld aurait pu choisir de faire valoir ses droits successoraux dans son pays d’origine, la loi étant là-bas plus souple en la matière.
Au pays des animaux millionnaires
Aux États-Unis, rien n’empêche de faire d’un animal son héritier direct, ce qui donne lieu parfois à certains cas extrêmes. « Trouble », bichon appartenant à la richissime Leona Helmsley, s’est ainsi retrouvé en 2007 à la tête d’une fortune estimée à deux millions de dollars. Au grand désarroi des héritiers directs pour qui rien n’avait été prévu. Une petite somme en comparaison des 372 millions de dollars légués par la comtesse Carlotta Liebenstein au berger allemand Gunter III dont le fils, Gunter IV, a ensuite hérité, faisant de lui le chien le plus riche du monde.
Des fondations spécialisées dans la prise en charge des animaux orphelins se sont créées à travers tout le pays, ainsi que des maisons de retraite pour lesquelles il faudra débourser des sommes se chiffrant quelquefois en dizaines de milliers de dollars. Des avocats se spécialisent quant à eux dans le droit animal, répondant ainsi aux demandes croissantes de legs, mais aussi aux nombreuses contestations qui en résultent.