Le parquet national antiterroriste : le gouvernement s’accorde un temps de réflexion
En décembre dernier, Nicole Belloubet, ministre de la Justice, a annoncé son intention de créer un parquet national antiterroriste (PNAT) en réponse aux menaces qui pèsent sur la France. En effet les attentats djihadistes y ont notamment fait plus de 240 morts depuis 2015. Toutefois, alors qu’il devait voir le jour à la fin de l’année 2018, il ne figurait pas dans le projet de réforme de la justice présenté en avril dernier par la garde des Sceaux, ce qui laisse planer de nombreuses interrogations sur la viabilité de ce nouveau parquet.
Pour Nicole Belloubet la création du parquet national antiterroriste se justifie au regard d’une menace « plus diffuse, plus présente mais aussi moins lisible et qui devrait probablement durer ». Alors que 500 personnes ont été incarcérées pour terrorisme, toutes les inquiétudes se portent désormais vers les jeunes Français partis se battre pour des groupes islamistes dans les conflits irakiens et syriens. On estime ainsi que sur les 1700 personnes ayant rejoint les zones djihadistes, 700 s’y trouveraient encore et 300 seraient déjà revenus sur le territoire français.
Disposer d’une force de frappe judiciaire antiterroriste
L’objectif du PNAT est, selon la garde des Sceaux, « de disposer d’une véritable force de frappe judiciaire antiterroriste ». Il viendrait ainsi soulager le parquet de Paris qui est actuellement compétent au niveau national pour tous les dossiers liés aux activités terroristes. « Avec la création d’un parquet national antiterroriste, il se verrait ainsi dégagé de ce contentieux lourd et spécifique ». S’il devait voir le jour, cette nouvelle juridiction serait la seconde du genre après le parquet national financier (PNF) né en 2013 après l’affaire Cahuzac.
La création du parquet national antiterroriste s’inscrirait également dans le projet d’Emmanuel Macron de centraliser la lutte contre le terrorisme. La task force de coordination des renseignements imaginée par l’Élysée aurait un interlocuteur privilégié du côté judiciaire. Il constituerait également une étape supplémentaire dans la création d’une procédure pénale parallèle spécifique au terrorisme. La loi de 1986 donnait déjà à la section antiterroriste du parquet de Paris une compétence nationale. Depuis, les spécificités et les dérogations au droit commun accordées à la justice antiterroriste se sont accumulées.
Un projet superflu pour les magistrats
Toutefois, la perspective de la création du parquet national antiterroriste est plutôt froidement accueillie du côté de la magistrature. Jacky Coulon, secrétaire national de l’Union syndicale des magistrats (USM) a qualifié sans ambiguïté le PNAT de « fausse bonne idée ». Il estime l’organisation antiterroriste actuelle déjà très centralisée et le projet de Nicole Belloubet superflu : « Nous avons eu la triste expérience de voir que la section antiterroriste du parquet de Paris, dans son organisation actuelle, est tout à fait réactive et donne satisfaction ».
D’autres s’interrogent sur les marges de manœuvre dont pourrait bénéficier le parquet national antiterroriste, en particulier au regard des moyens humains et financiers. Le C1, la division antiterroriste du parquet de Paris compte aujourd’hui 14 magistrats soit 10 % des effectifs du tribunal. De plus, selon Marc Trévidic, il a démontré sa capacité à « s’appuyer sur les autres sections pour faire face aux crises. Cela a été le cas lors des tueries de “Charlie Hebdo” et de l’Hyper Cacher et plus encore après le 13 Novembre ».
Les réserves du conseil d’État
La création du PNAT pourrait couper l’antiterrorisme du reste de l’appareil judicaire en particulier vis-à-vis des sections étroitement liées à la lutte contre le terrorisme comme le blanchiment d’argent, le trafic d’armes ou la cybercriminalité. Ainsi, le Conseil d’État, plutôt réservé sur le projet, a estimé que le parquet national antiterroriste n’est pas « sans présenter un risque d’isolement des magistrats affectés à ce parquet avec l’inconvénient de perdre la perception des liens entre la petite délinquance et le terrorisme, en particulier dans les parcours de radicalisation ».
Dans ce contexte, le gouvernement a décidé de mettre de côté le projet sans toutefois y renoncer, s’accordant un temps de réflexion avant d’en dessiner les contours. Les syndicats de magistrats se sont vus proposer trois pistes de travail. La première serait de donner plus d’autonomie à la section C1 du parquet de Paris. La seconde serait de créer un parquet national antiterroriste avec des compétences en matière de criminalité organisée. Enfin, la troisième donnerait la possibilité au parquet national antiterroriste d’intervenir en premier instance et en appel.