Migrations de travail : la législation européenne en question
Organisée par ERA, la fondation publique d’éducation au droit européen, la conférence annuelle sur le droit européen en matière de migrations s’est tenue les 7 et 8 mai 2015 dans un contexte tendu. ONG, avocats, juristes, représentants de la Commission européenne et d’autres organisations internationales se sont donné rendez-vous à Bruxelles pour faire le point sur la thématique des migrations de travail. Une question au cœur des enjeux économiques, politiques et démographiques d’une Europe à la population vieillissante.
L’immigration de travail : un enjeu pour l’Europe
L’asile et le regroupement familial semblent à l’heure actuelle être les seules portes ouvertes à l’immigration légale en Europe. Ces deux formes de migrations, peu rentables pour les Etats, nourrissent les discours de plus en plus populaires des partis nationalistes européens (NVA en Belgique, FN en France, UDC en Finlande, PPV aux Pays-Bas ou encore la Ligue du Nord en Italie).
Mais le vieux continent veut rester attractif. Vieillissement de la population, instabilité des systèmes de retraite, déserts médicaux, besoins en main d’œuvre qualifiée ou en travailleurs saisonniers sont autant de défis auxquels pourrait répondre l’immigration de travail. Pour ces raisons, mais aussi pour lutter contre le travail illégal, des outils européens existent afin de réguler les migrations internes à l’Europe, mais également des travailleurs venant de pays tiers.
Mouvements des travailleurs européens : quelles sont les règles ?
La libre circulation des travailleurs européens au sein de l’Union est un principe de base, garanti par l’article 45 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Cette disposition permet à tous les travailleurs européens sans discrimination et sans nécessité de demander un permis de travail de chercher ou occuper un emploi dans les autres pays de l’Union et de s’y établir dans ce but. Quelques restrictions sont toutefois applicables. Les emplois dans les administrations publiques n’entrent par exemple pas dans ce cadre. Depuis janvier 2014 les travailleurs roumains et bulgares peuvent également bénéficier de cette disposition. Ils en étaient exclus depuis leur adhésion à l’Union en 2007. C’est maintenant au tour de la Croatie, entrée en 2013, d’être sous le coup d’une « période transitoire » limitant la libre circulation de ses ressortissants.
Cette uniformisation ne se limite pas au simple droit à exercer un emploi. Dans un règlement de 2004 (883/2004), l’UE tente également de coordonner les systèmes nationaux de sécurité sociale, mais toutes les questions de mobilité des travailleurs européens ne sont pas régulées de manière communautaire. La fiscalité des travailleurs frontaliers par exemple est soumise à des accords bilatéraux.
L’Europe tente d’attirer des travailleurs qualifiés de pays tiers
A travers une directive de 2011 (2011/98/UE), le législateur européen a mis en place une procédure uniformisée pour la demande de permis de travail de ressortissants de pays tiers. En plus de faciliter les démarches administratives en les standardisant, le « permis unique » ouvre aux travailleurs qui en sont titulaires un droit à la mobilité au sein de l’espace européen, mais également des droits égaux à ceux des européens dans le cadre professionnel, en terme de droit du travail, de sécurité sociale, ou encore de reconnaissance des diplômes.
Une autre disposition a pour but d’harmoniser l’emploi de travailleurs extra-européens, la mise en place d’une Blue Card, organisée par la directive 2009/50/CE. Cette directive concerne les nationaux des pays tiers, à l’exclusion des résidents de longue durée dans un Etat de l’Union et des réfugiés qui bénéficient en théorie déjà des mêmes droits que les nationaux. Présentée comme une réponse à la Green Card américaine, la Blue Card européenne vise à attirer et faciliter la venue de travailleurs très qualifiés dans l’Union afin de répondre à des besoins spécifiques en main d’œuvre.
Adoptée par la majorité des Etats européens (à l’exception du Royaume-Uni, de l’Irlande et du Danemark) cette disposition a pour but d’attirer des talents vers l’Europe, mais aussi de favoriser les mouvements internes, puisqu’elle permet aux travailleurs concernés d’effectuer des déplacements professionnels dans tous les Etats membres.
Pourquoi réglementer les migrations de travail au niveau européen ?
Les questions migratoires sont très sensibles car elles sont le symbole de la souveraineté d’un Etat, qui entend décider qui peut entrer ou non sur son territoire. Il n’est cependant pas pensable dans un espace tel que Schengen, de libre circulation des personnes, des marchandises et des capitaux de laisser les Etats souverains en matière de migration de travail. La question doit être réglée de manière communautaire.
Le système européen se heurte toutefois au problème de sa propre complexité. Les directives européennes doivent être retranscrites en droit national dans chaque Etat membre, avec un délai parfois très long. Malgré une réelle volonté de la part des institutions européennes, l’uniformisation sur les questions liées à l’asile, par exemple, n’a pas atteint le niveau attendu. La directive de 2003 sur les normes minimales d’accueil des demandeurs d’asile, ou encore le controversé règlement Dublin qui vise à définir le pays responsable de la prise en charge n’auront pas suffit à impulser une politique européenne unitaire et cohérente en la matière. L’enjeu est donc double pour les institutions européennes : créer une cohérence dans les règlementations nationales liées aux migrations de travail, mais également retrouver la souveraineté supra-étatique qui est censé être la sienne.