Lutte contre le terrorisme : 30 ans de législation
Alors que les attentats se succèdent et dominent l’actualité, Grands Avocats revient sur trente années de lutte contre le terrorisme.
En 1986, la France est confrontée à une vague d’actes terroristes sans précédent. Les explosions se succèdent, atteignant leur point culminant en septembre avec l’attentat de la rue de Rennes à Paris, qui fera sept morts. Le contexte troublé au Moyen-Orient, avec en toile de fond la guerre que se livrent l’Iran et l’Irak, se répercute jusque sur le territoire français.
C’est aussi l’apogée du groupe anarchiste Action Directe. La Droite, sortie vainqueur des élections du mois de mars, décide d’un renforcement législatif afin de contrecarrer la menace terroriste. Présentée par Albin Chalandon, alors garde des Sceaux, et soutenue par des magistrats tels que Alain Marsaud, la loi du 9 septembre 1986 marque un tournant législatif.
La loi du 9 septembre 1986, clé de voûte de l’antiterrorisme
Après des discussions parfois houleuses à l’Assemblée, le projet de loi est validé par le Conseil constitutionnel et complété par la loi du 30 décembre 1986. L’acte de terrorisme y est défini d’une manière spécifique, la durée de la garde à vue est étendue à quatre jours et l’intervention de l’avocat n’est autorisée qu’au bout de la 72e heure. Les peines sont alourdies, l’apologie de terrorisme est incriminée, les contrôles de police sont étendus tandis qu’est prévue une exemption de peine pour les criminels qui, par leurs informations, auront permis de déjouer un attentat. Les étrangers accusés de terrorisme sont interdits de séjour, et un fond d’indemnisation des victimes est mis en place.
L’un des points-clé de la loi du 9 septembre consiste en la création d’un pôle de magistrats spécialisés. Situé sur l’ile de la Cité, c’est au sein de cette structure baptisée « quatorzième section » qu’officieront des figures majeures de l’antiterrorisme, comme Jean-Louis Bruguière ou Laurence Le Vert. Jugée par ses détracteurs comme n’étant qu’une réponse politique (Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur de l’époque, déclarait vouloir « terroriser les terroristes »), faisant peser des craintes sur les libertés individuelles, la loi de 1986 a depuis largement fait ses preuves et constitue la pierre angulaire de la lutte contre le terrorisme.
Des années 1990 sous haute tension
Le 10 juillet 1991 est voté le texte relatif aux interceptions des communications téléphoniques. Cette loi ne concerne pas uniquement la prévention du terrorisme, mais tente aussi de contrer l’espionnage industriel et scientifique, ainsi que le crime organisé. L’année suivante, les actes de terrorisme sont insérés dans le nouveau code pénal, constituant des infractions spécifiques et plus sévèrement sanctionnées.
La fin de 1994 et l’année 1995 marquent l’émergence d’un terrorisme islamiste en lien avec le GIA algérien. Au détournement de l’avion d’Air France succède une vague d’attentats marquée par la bombe déposée dans le RER B et qui explose à la station Saint-Michel, provoquant la mort de huit personnes et faisant 117 blessés. C’est à cette période qu’est renforcé le plan Vigipirate et qu’est promulguée la loi d’orientation et de programmation pour la sécurité. Cette dernière prévoit le recours à la vidéosurveillance dans les lieux publics ainsi que dans les bâtiments exposés aux menaces terroristes. Les peines réservées aux terroristes sont raffermies (loi du 18 février 1995), et la répression est renforcée.
Dans ce sens, l’année 1996 se montre riche en apports législatifs : la loi du 22 juillet introduit la notion « d’association de malfaiteurs en relations avec une entreprise terroriste », permettant l’arrestation de suspects avant qu’ils ne perpétuent un attentat. La loi du 30 décembre, quant à elle, autorise dans ce domaine les perquisitions de nuit.
Des menaces polymorphes
Les années 2000 illustrent l’apogée du groupe islamiste Al-Qaida, dont la France constitue une cible privilégiée. A ce terrorisme se cumulent d’autres menaces exercées par des groupes séparatistes basques, bretons ou corses. L’arsenal législatif est complété, renforçant les attributions des agents de police (loi du 15 novembre 2001, puis du 18 mars 2003), ainsi que la consolidation de la coopération entre services de renseignement (loi du 29 aout 2002).
La loi la plus importante des années 2000 sera celle « relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers » (23 janvier 2003). La garde à vue est prolongée à six jours en cas de risque d’attentat, les données de connexion Internet sont conservées durant une année et peuvent être consultées par un haut fonctionnaire de police.
Durant cette décennie, le nombre d’attentats perpétrés sur le territoire faiblit de manière significative, reflétant ainsi l’efficacité des services luttant contre le terrorisme. Les dispositifs de surveillance, numériques, vidéos, fichiers, seront renforcés par la loi LOPPSI 2 décrétée le 14 mars 2011.
Le choc de la décennie 2010
La France se réveille brutalement avec l’équipée meurtrière de Mohamed Merah, en 2012. Une nouvelle génération de djihadistes se révèle, abreuvée aux réseaux sociaux et agissant en petites cellules. Pour tenter de repérer de tels individus, l’arsenal législatif ne cesse depuis de s’adapter. Les ressortissants français candidats au jihad peuvent être inculpés du délit d’entreprise terroriste individuelle (13 novembre 2013). La loi du 24 juillet 2015, dite loi sur le renseignement, marque une étape décisive en multipliant les autorisations d’accès aux données numériques, émises tant en France qu’à l’étranger.
Après les attentats de Paris du 13 novembre, l’état d’urgence est décrété, permettant aux préfets de limiter les déplacements, d’interdire les réunions publiques jugées dangereuses, de restreindre l’accès à certaines parties du territoire et d’assigner à résidence les personnes pouvant mettre en danger la sécurité publique. Dans un même temps, les agents de la SNCF et de la RATP se voient autorisés à procéder à des fouilles (décret du 22 mars 2016).
Une dernière loi controversée
La dernière réponse législative au terrorisme se trouve dans la loi n°2016-731 « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et la garantie de la procédure pénale ». Une peine de perpétuité réelle est prévue pour les crimes terroristes, et un délit sanctionnant le séjour dans une zone d’opérations terroristes est créé. La consultation régulière de sites vantant le jihad devient elle aussi un délit, les échanges électroniques sont plus facilement accessibles aux enquêteurs, alors que les sanctions en cas de non-dénonciation de crime terroriste se trouvent rallongées. Autant de mesures qui pourraient, selon certains magistrats, menacer l’autorité judiciaire ainsi que les libertés individuelles.
Les enjeux de la lutte contre le terrorisme
30 années de lutte contre le terrorisme, 30 années mêlant succès et déconvenues. L’actualité brulante a mis en lumière les mutations du terrorisme, qui nécessitent une adaptation constante de la réponse législative et judiciaire. La figure même du terroriste a profondément évoluée au cours de ces trente dernières années, complexifiant le travail des enquêteurs et des juges. Les technologies de l’information rendent encore plus compliquée l’identification des suspects et de leur réseau. L’internationalisation de ces réseaux pose aussi le problème de la coopération effective entre les états, facilitée par la création d’Eurojust, du mandat d’arrêt européen et par les nombreuses réunions de coordination entre pays. Se pose aussi la question des libertés fondamentales, souvent menacées par des lois de plus en plus strictes. Autant de difficultés auxquelles se trouvent confrontées les législateurs, et qui seront les grands enjeux de la décennie à venir.