Les enfants soldats, une problématique juridique et sociale
La question des enfants soldats a connu une actualité brûlante lors de la guerre civile au Sierra Léone. La biographie d’Ishmaël Beah, « le chemin parcouru, mémoire d’un enfant soldat », ou le roman Ahmadou Kourouma « Allah n’est pas obligé », ont permis de faire mieux connaître la réalité de cette atrocité. Si la condamnation est unanime de part le monde, de nombreuses interrogations demeurent en suspens, notamment celles concernant la protection juridique de ces enfants.
Dans son livre, Ishmaël Beah explique comment il a perdu sa famille et s’est retrouvé enrôlé dans les forces armées et à plus grande échelle dans le conflit du Sierra Leone. La conquête des zones diamantifère, notamment visés par le président Libérien Charles Taylor, aura fait des millions de morts et quelques milliers d’enfants soldats.
Combien et pourquoi ?
A l’heure actuelle, environ 300 000 enfants (garçons et filles âgés de moins de 18 ans) sont impliqués dans une trentaine de conflits à travers le monde. Les enfants soldats sont utilisés aussi bien comme combattants, porteurs et cuisiniers, ou forcés à fournir des services sexuels. Certains s’enrôlent à cause de la pauvreté, la maltraitance ou la discrimination qu’ils subissent, ou parce qu’ils cherchent à se venger d’actes de violence commis contre leur famille ; d’autres sont enlevés ou enrôlés de force. Recrutés dans de nombreux pays du monde, comme l’Afghanistan, la République Centrafricaine, la Colombie, l’Inde, Israël, le Myanmar, la Thaïlande ou encore le Yémen, les enfants soldats appartiennent indifféremment à des groupes armés de l’opposition ou aux forces armées gouvernementales.
Qu’est-ce qu’un enfant soldat selon le droit ?
L’UNICEF définit l’enfant soldat comme tout enfant, garçon ou fille, âgé de moins de 18 ans, intégré à une force ou un groupe armé, régulier ou irrégulier, pour y remplir des fonctions diverses. La définition ne s’applique pas uniquement à un enfant portant une arme comme le prévoyait les «Principes et meilleures pratiques du Cap», en 1997. Elle prend en compte des situations diverses : cuisiniers, porteurs, filles ou garçons recrutés aux fins de rapports sexuels forcés et/ou de mariage contraint.
L’article 1er de la Convention Internationale relative aux droits de l’enfant (CIDE) définit l’enfant comme « tout être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la majorité est atteinte plus tôt en vertu de la législation qui lui est applicable » . C’est dans le cadre de ce statut que l’enfant va être protégé des tentatives d’exploitation. L’âge prime sur la fonction. Mais l’âge de la majorité peut être différent selon les pays, la culture, la religion. Par exemple, la majorité peut être acquise à 13 ans par certains rites religieux dans le judaïsme, sans pour autant faire de l’enfant un adulte responsable de ses actes en droit.
C’est donc le discernement ou la capacité à comprendre de l’enfant qui sera retenu comme l’un des critères essentiels du droit de l’enfance. Les conséquences peuvent être grandes. La responsabilité n’est effet pas la même selon que l’on reconnu par le droit comme enfant ou adulte.
La limite de l’enfance fixée entre 15 et 18 ans ?
La CIDE retient en tout cas l’âge de 18 ans comme âge de fin de l’enfance. L’article 77(2) du Protocole Additionnel n°1 aux Conventions de Genève de 1949, prohibe le recrutement d’enfants de moins de 15 ans dans les forces armées. Deux obligations s’imposent donc aux Etats parties à un conflit armé : l’obligation de ne pas recruter des enfants de moins de 15 ans dans leurs forces armée et l’obligation de prendre toutes mesures possibles pour s’assurer que des enfants de moins de 15 ans ne prennent pas part, par quelque moyen que ce soit, directement aux hostilités.
L’enfant soldat protégé par le droit
En Droit International Humanitaire (DIH), les Conventions de Genève de 1949 et leurs Protocoles Additionnels s’intéressent aux enfants soldats et considèrent d’ailleurs les enfants comme des civils. Avant la Seconde Guerre Mondiale, traiter de la problématique des enfants soldats n’était pas une priorité puisque cette question apparaissait comme un problème de pur droit interne, chaque Etat devant déterminer l’âge minimum de recrutement des enfants dans les forces armées.
La Convention de Genève n°4 qui porte sur la protection des enfants dans les conflits armés, considère l’âge de 15 ans comme la fin de l’enfance mais restreint seulement le recrutement d’enfants dans les forces armées d’un Etat s’ils sont des « personnes protégées ». Elle ne dit rien sur les conditions dans lesquelles un Etat peut recruter un enfant de sa propre nationalité dans ses forces armées. L’enfant y est donc simplement vu comme un civil ou un non combattant .
Pas de lignes directrices claires !
En Droit International des Droits de l’Homme (DIDH), l’article 38 de la CIDE porte spécifiquement sur la participation des enfants aux hostilités. Du point de vue des organes des Nations Unies, ni l’Assemblée Générale ni le Conseil de Sécurité n’ont donné de lignes directrices claires pour savoir ce que constituent les règles de droit international coutumier (règles qui s’appliquent selon les pratiques locales) gouvernant le recrutement et l’utilisation des enfants dans les hostilités.
Une exception cependant ! Une lettre du Président du Conseil de Sécurité au Secrétaire général du 22 décembre 2000 concernant le travail préparatoire du Statut du Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, dans laquelle était indiqué que conscrire ou enrôler des enfants de moins de 15 ans dans les forces armées ou groupes armés ou les utiliser pour participer activement aux hostilités était, depuis 1996, un crime de guerre en vertu du droit international coutumier.
Le recrutement d’enfants soldats : un crime de guerre !
Le droit de la guerre prévoit toute une série d’obligations et d’interdictions en temps de conflit armé. Aussi, le recrutement d’enfants dans les conflits armés est considéré comme un crime de guerre au regard du Droit International Humanitaire.
Le Tribunal Spécial pour la Sierra Leone, première juridiction à s’être saisie de la question, prohibe ce crime à la fois dans son statut (article 4(c)) et dans sa jurisprudence (affaires Taylor, RUF et AFRC). Tous les accusés devant le Tribunal ont été poursuivis pour crime de guerre de conscription ou d’enrôlement d’enfant de moins de 15 ans dans des forces ou groupes armés ou de leur utilisation à participer activement aux hostilités.
Dans ces affaires, la chambre de première instance a considéré que l’utilisation des enfants pour participer activement aux hostilités ne se limite pas à la participation aux combats : tout travail ou support qui permet ou aide à maintenir les opérations dans un conflit constitue une participation active. Dans le conflit en Sierra Leone, les diamants étaient vendus pour financer la guerre, et l’utilisation d’un enfant pour garder une mine de diamants place celui-ci devant un risque suffisant pour constituer une utilisation illégale d’enfant.
L’enfant soldat, responsable face au droit
Dans les conflits armés, les gouvernements punissent ceux qui ont pris les armes contre eux. En Sierra Leone, beaucoup d’enfants ont commis des actes contraires au Droit International Humanitaire. Toute personne a l’obligation de se conformer au DIH et doit, en cas d’infraction, faire face à des sanctions pénales.
Toutefois, une des raisons pour lesquelles les Forces Armées/Groupes Armés recrutent des enfants est que ces derniers sont influençables, obéissants et faciles à contraindre. Ayant été eux-mêmes enrôlés, drogués de force, ils sont plus enclin à commettre des atrocités. De plus, ils sont irresponsables juridiquement selon leur âge au moment de la commission de l’infraction. L’âge de la responsabilité pénale d’un enfant pose donc un réel problème.
L’article 77(2) du Protocole Additionnel n°1 fixe à 15 ans la majorité de la responsabilité pénale. Après 15 ans tout enfant est responsable de ses actes et encourt des sanctions pénales (emprisonnement etc.).
Selon les « Règles de Beijing », la règle 4 recommande que l’âge minimum de responsabilité pénale ne soit pas trop jeune, sans toutefois donner de précisions. Le Comité des droits de l’enfant de l’ONU a considéré quant à lui que la responsabilité pénale ne devait pas être déterminée par référence à des facteurs subjectifs tels que la puberté, l’âge de discernement ou la personnalité de l’enfant mais sur la base de critères objectifs comme l’âge.
Des efforts sont en cours pour s’accorder sur un standard international d’âge minimum de responsabilité pénale. Dans tous les cas, le droit International humanitaire et le règles internationales interdisent la peine de mort sur les personnes de moins de 18 ans au moment de la commission de l’infraction.
L’enfant soldat et sa réinsertion
Et après? Les enfants soldats sont d’abord désarmés avant d’être réinsérés dans leurs vies civiles. Les garçons ne sont pour la plupart pas aussi stigmatisés que l’on pourrait l’imaginer. Par contre, le retour à la vie civile et sociale s’avère particulièrement difficile pour les filles soldats souvent considérées comme de simples « esclaves sexuelles ». Ce mode de pensées contribue à les rendre invisibles dans les processus de démobilisation et de réinsertion.
Selon certains, les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration (DDR) ne sont pas conçus pour répondre aux besoins des filles. Le programme DDR à l’origine mis en place pour aider les combattants adultes, a pris petit à petit en compte les garçons soldats puis les filles soldats.
Environ 40% des centaines de milliers d’enfants soldats impliqués dans les conflits à travers le monde aujourd’hui sont des filles. Mais seulement 5% de ces filles soldats suivent le programme DDR car, en général, les filles dissimulent leur lien avec les groupes armés. Dans les sociétés dites traditionnelles, suivre un programme réinsertion pourrait dévoiler leur passé et mettre en péril leur avenir.
La formation de filles aux emplois masculins : un échec !
Pour certaines filles, le fait d’appartenir à un groupe armé illégal leur a donné un sentiment de pouvoir et de contrôle qu’elles n’ont pas forcément dans une société conservatrice. À l’origine, les programmes de DDR mis en œuvre en Érythrée offraient aux femmes des opportunités économiques conformes aux rôles sexuels traditionnels – confection de paniers, dactylographie et broderie – mais ils ne leur donnaient pas des moyens de subsister durablement.
La formation de filles aux emplois traditionnellement masculins a été un échec, les normes édictées par la société déterminant qui pouvait occuper quel emploi. Par ailleurs, certaines filles souffrent du syndrome de Stockholm, qui pousse des personnes retenues captives à développer un attachement pour leurs geôliers.
Et pour l’avenir ? Evolution et solution ?
Le rapport annuel du Secrétaire général sur les enfants et les conflits armés souligne les progrès accomplis en 2012 pour protéger les enfants vivant dans les pays touchés par un conflit, mais montre également l’évolution de la nature des conflits et des tactiques de guerre qui créent des menaces pour eux. Ce rapport pointe du doigt 22 situations dans 21 pays où les enfants sont victimes de violences liées aux conflits, notamment au Mali.
Cinq nouveaux plans d’action ont été signés au Myanmar, au Soudan du Sud, en République démocratique du Congo et en Somalie. Ils comprennent des mesures telles que l’accès aux casernes militaires et aux bases pour les équipes de surveillance des Nations unies, l’ordre militaire d’interdire le recrutement et l’utilisation d’enfants, et des formations pour le personnel militaire et le développement de programmes pour la réintégration des anciens enfants soldats et la prévention de recrutements futurs.
Les transferts de Thomas Lubanga ou de Bosco Ntaganda à la Cour Pénale Internationale ont envoyé un message clair : le recrutement d’enfants est un crime de guerre et les auteurs de ces violations doivent répondre de leurs actes devant la justice internationale. Trop de pays, comme les Etats-Unis, ne reconnaissent pas la compétence de la CPI, ce qui empêche de poursuivre les auteurs de nombreux crimes. Comment qualifier le recrutement dans l’armée américaine de jeunes de 16 ans ? Crime de guerre ? Enfants soldats ou non ?