Le fichier S : quelle place dans l’histoire du fichage en France
La fiche S, pour « atteinte à la sûreté de l’Etat », est au cœur des discussions suite aux événements terroristes qui ont eu lieu en 2015 en France. Pourtant, le fichage n’est pas nouveau dans notre pays : le FPR (fichier des personnes recherchées) existe depuis 1969 et compte 21 catégories différentes. L’histoire du fichage démontre que cette méthode représente un enjeu en sécurité et liberté.
Récemment, plusieurs « fichés S » ont fait parler d’eux. En effet, c’était le cas d’Ayou El-Khazzani, l’auteur présumé de l’attaque du 21 août dans le train Thalys, mais aussi de Sid Ahmed Ghlam, soupçonné d’avoir voulu commette un attentat contre une église de Villejuif, ou encore des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, responsables de l’attaque contre Charlie Hebdo. Ces individus ont pour point commun d’être considérés comme des menaces pour la sécurité publique, ce qui explique la raison de leur fiche S. Mais qu’est-ce que cette fiche S ? Comment s’intègre-t-elle dans l’histoire du fichage en France ?
La fiche S, une protection contre le terrorisme ?
La fiche S est dressée pour chaque individu qui serait susceptible d’appartenir à un groupe suspecté de pouvoir porter atteinte à la sûreté de l’Etat. Cependant, elle n’entraîne aucune action automatique de coercition contre les personnes fichées. Ces fiches sont dressées par la Direction générale de la sûreté intérieure (DGSI), le service de renseignement français, lorsqu’il reçoit des informations de la part des autorités françaises, mais également internationales.
Un simple « soupçon » suffit donc à justifier cette fiche et il n’est pas nécessaire que les personnes aient commis un délit ou un crime. Il peut donc s’agir d’une personne qui a déjà été ou est en relation avec le terrorisme. A noter également, la fiche S comprend plusieurs catégories. « S14 » correspond alors aux combattants djihadistes revenant d’Irak ou de Syrie, mais le numéro ne correspond en aucun cas au degré de dangerosité de l’individu. Il est également utile de rappeler que la fiche S ne concerne pas uniquement les personnes liées au terrorisme ; hooligans ou manifestants violents peuvent également en faire l’objet.
Toutefois, cette fiche est limitée dans ses fonctions. Elle joue uniquement un rôle d’alerte et n’entraîne pas de surveillance continue, on ne peut ni arrêter l’individu, ni l’expulser en raison de cette fiche S. De manière concrète, son utilité se révèle lors des passages à l’aéroport ou lors des contrôles d’identité ; les forces de l’ordre redoublent alors de vigilance et retiennent tout renseignement important. Ce à l’insu des dits individus, la fiche S étant protégée par le « secret défense ».
Autre limite à cette méthode, la fiche S, comme toutes les autres fiches du FPR, est temporaire. Si la personne fichée ne commet pas d’infraction particulière, la fiche disparaît au bout d’un an. Cette situation a été celle de Yassin Salhi, fiché S de 2006 à 2008, et arrêté pour le meurtre barbare de son employeur le 26 juin 2015 en Isère.
Finalement, ce mode de fonctionnement ne constitue pas en soi une véritable protection contre le terrorisme. N’ayant pas d’effet coercitif, il s’agit principalement d’un système de renseignement. A l’heure actuelle au moins 5 000 personnes feraient l’objet de cette fiche S.
Le FPR, un système de fichage très large en France mais aussi en Europe
Le fichier des personnes recherchées, crée en 1969, regroupe environ 400 000 noms répartis dans 21 catégories selon la Commission nationale informatique et libertés (CNIL). Les catégories sont distinguées par des lettres, par exemple « IT » signifie l’interdiction de territoire, « M » concerne les mineurs fugueurs, « V » les évadés et «PJ » est prévu pour les recherches de police judiciaire, etc.
Les fiches précisent l’état civil, le signalement, le portrait photo, les motifs de recherche ainsi que la conduite à adopter en cas de découverte de renseignements supplémentaires. Seules les fiches « J » et « PJ », c’est-à-dire les personnes recherchées par la justice ou par la police, provoquent une action automatique de coercition.
Depuis la création de l’espace Schengen, ce système d’information n’est plus seulement français, il est désormais européen. Ainsi, tous les pays membres sont tenus de partager les fiches dans la base commune de renseignement.
Mais la volonté des autorités de ficher les citoyens est bien plus ancienne. En 1908 déjà, le fichage était requis pour les « vagabonds, nomades et romanichels circulant isolément ou voyageant en groupes ». Progressivement, cette méthode s’est développée ; en 1921 la carte d’identité devient obligatoire pour les habitants de Paris et ses alentours, puis s’étend en 1940 sous le régime de Vichy à tous les citoyens français de plus de 16 ans. A cette époque, un des problèmes apportés par de cette carte d’identité était qu’elle créait en réalité un système d’exclusion en fonction de critères raciaux et nationaux.
Le système de fichage : un enjeu entre liberté et sécurité
C’est là tout l’enjeu du système de fichage : conserver la liberté des citoyens tout en garantissant leur sécurité. Pendant l’occupation, le nombre de fichiers d’identité demandés était très important, et ils étaient utilisés uniquement dans un objectif d’exclusion. Cette exigence avait d’ailleurs conduit à une fraude d’une grande ampleur. Cet aspect du fichage durant le régime de Vichy démontre le risque d’emprise sur la liberté des citoyens. Après la guerre, cette question a suscité de nombreux débats entre les citoyens, c’est pourquoi en 1955, le ministre de l’Intérieur a décidé de rendre facultative la carte nationale d’identité (c’est toujours le cas aujourd’hui) afin de prendre ses distances avec Vichy.
Récemment, le débat a refait surface en raison du projet parlementaire quant au fichage « des gens honnêtes », proposé le 23 janvier 2012 aux sénateurs, qui se sont montrés opposés à cette idée. L’objectif était la modernisation de la carte d’identité nationale avec des procédés biométriques permettant de centraliser les informations, dans le but de lutter contre l’usurpation d’identité. L’identité, au-delà d’une puce « régalienne » contenant les identifiants écrits, pourrait donc être précisée grâce aux empreintes digitales et une photographie reconnaissable par les dispositifs de reconnaissance faciale. Toutes ces informations seraient alors contenues dans un fichier central biométrique.
Bien évidemment, cette initiative parlementaire a suscité de vifs débats. La loi du 6 janvier 1978 avait posé un grand principe selon lequel la légalité d’un fichier était conditionnée en fonction de la proportion des informations enregistrées par rapport aux finalités, principe ici largement transgressé. A cette occasion, le Conseil constitutionnel a déclaré que ce projet, anticonstitutionnel, « a porté au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ». Au termes cinq navettes parlementaires, six des douze articles de la proposition de loi auront finalement été censurés.
Si la fiche S, malgré ses limites, a récemment prouvé qu’elle avait un rôle important en matière de sécurité, les autorités doivent toutefois veiller à ce que le système de fichage en France respecte la frontière entre la sécurité et la liberté des citoyens, d’autant plus que l’ère numérique et les procédés biométriques mettent de plus en plus en péril la protection des données personnelles.