Le chroniqueur judiciaire – un journaliste pas comme les autres
Intemporel témoin de la société au travers des affaires de justice, le chroniqueur judiciaire se fait l’écho dans la presse des passions, des dérives, des joies et des peines de l’Homme, par son récit des débats et décisions qui se tiennent et se prennent au sein des palais de justice. Une figure incontournable de l’appareil judiciaire !
Inconfortablement assis à mi-chemin de la salle d’audience, entre le prétoire et le public, il prend des notes silencieusement. Jamais son avis ne lui sera demandé, pourtant c’est bien lui qui aura l’importante mission de raconter les faits et les dires auxquels il est en train d’assister avec attention. Si on analyse son comportement lors de l’audience, il ne pose aucune question, il ne bouge pas, n’intervient pas… on douterait presque de l’utilité de sa présence et pourtant…
Si le chroniqueur judiciaire n’arbore pas de tenue particulière, à l’instar des juges et avocats, il reste un professionnel de la justice. Sa présence lors d’innombrables procès lui confère une connaissance pointue de l’appareil judiciaire, de ses acteurs avec qui il est souvent amené à échanger, de ses rituels auxquels il a souvent assisté, de ses grandes réussites et de ses grands échecs. Son rôle est d’en être le témoin puis d’en faire l’écho, au travers du récit de presse, auprès du public. Des lecteurs aussi avides de grands procès et d’affaires spectaculaires que de faits divers morbides et de destins brisés.
Témoin de l’intimité de la société
La place accordée à la chronique juridique dans la presse varie selon les époques mais elle reste incontournable. Il ne sort pourtant pas de scoop, rien qui ne soit exclusif ou inédit, mais bien des faits « publics » débattus dans des enceintes libres d’accès, simplement trop peu visitées lors de procès que l’on qualifierait d’anonymes et d’autres spectaculaires ou (et) parfois trop surmédiatisés. Ainsi, de Salan à Outreau en passant par AZF ou encore Clearstream, les comptes-rendus d’audience ont permis à tout un chacun de suivre le feuilleton avec délectation ou dégoût, et de se faire une opinion sur les acteurs et enjeux des affaires.
S’il est aujourd’hui possible de retrouver les réquisitoires et plaidoiries de Floriot, de Badinter, de l’avocat général Gavalda, de revivre les procès de Michel Fourniret, d’Omar Raddad ou d’Émile Louis, à la lecture d’un seul et même opus, c’est grâce au travail de Pascale Robert-Diard et Didier Rioux. Ces derniers, après avoir longuement fouillé les archives du journal Le Monde, proposent un ouvrage rassemblant les articles de ses chroniqueurs judiciaires sur les grands procès en France depuis 1944. (Le Monde – Les Grands procès – éditions les arènes)
Ainsi, les experts reconnaîtront la description du « faciès de batracien » de Petiot, son « flot gluant de paroles » encore attaché à leurs oreilles par le récit enivrant d’Henri Magnan. Les novices ou simples amateurs pourront quant à eux redécouvrir le procès Outreau, dont la médiatisation trop précoce et partielle avait eu les effets néfastes qu’on lui attribue.
Un poids dans les médias
Lorsque le public se plonge dans le récit d’audience d’un chroniqueur passionné et passionnant, il arrive aussi qu’il adhère à ses opinions, lui faisant pleine confiance et lui accordant ainsi une influence sur son opinion. Il s’agit donc, selon Didier Speck, chroniqueur judiciaire au quotidien Nord Eclair depuis 20 ans, qu’il soit très prudent quant à la description qu’il fait de l’audience et des personnes concernés, que celles-ci soient physiques, comme dans le cas Outreau, ou morales, comme lors de l’affaire du sang contaminé ou du naufrage de l’Erika.
Didier Speck explique que les juges sont eux aussi « influencés par l’actualité, par les effets générationnels ». Il déplore de ce fait que leurs jugements puissent manquer de partialité, parfois par la faute d’un mauvais traitement média de l’actualité judiciaire, soumis lui aussi aux effets de mode. Dans le cas de l’affaire Lille plage, il raconte avoir lui-même assisté au spectacle de journalistes généralistes mal renseignés, qui n’ont porté aucune attention à une affaire beaucoup plus grave qui se déroulait le même jour dans le même palais. Un tel impact dans les médias peut donc, s’il n’est pas utilisé avec sagesse et discernement, causer des ravages et avoir de lourdes conséquences.
Le futur de la chronique judiciaire
Pascale Robert-Diard et Didier Speck prédisent à ces colonnes un avenir positif, conscients de leurs attraits pour le public et de leur importance. Le palais de justice raconté par la chronique judiciaire, ce « lieu d’analyse du réel » a donc de beaux jours devant lui. D’ailleurs certaines personnalités comme Nicolas Sarkozy vont même jusqu’à s’inviter dans les prétoires, pour assister de leurs propres yeux à ce théâtre de la société !