La passion d’interdire du gouvernement touche même le dépistage du Covid 19
Enfiévré lui aussi par l’épidémie qui a fondu sur notre pays, le gouvernement a distribué ces dernières semaines les interdits avec un plaisir non dissimulé. Ce qui était d’abord une réponse à l’impératif sanitaire, annoncée par un Premier Ministre au front grave qui fustigeait l’indiscipline des Français, est désormais devenu, il faut bien le dire, un jeu du chat et de la souris. Avec une agilité sans pareille, le gouvernement organise la succession d’un jour à l’autre de consignes contradictoires, dont on ne sait si elles ont d’autre but que de donner le vertige. La directive répond à la directive, l’allocution à l’allocution, l’interdit à l’interdit, dans une scène de dialogue contradictoire permanent avec soi-même.
L’un des exemples les plus éclatants en a récemment été donné par Madame Pénicaud, dans ses remarques sur ce qu’il incombait aux entreprises de faire pour combattre la propagation du virus. Reprenons l’épisode depuis le départ. Dans les premières semaines de l’épidémie, le gouvernement expliquait avec confiance que les tests n’étaient pas un ingrédient essentiel dans la réponse au virus. Puis est venue la mise à l’honneur du dépistage, présenté comme seule solution viable pour tracer un chemin vers le déconfinement. Madame la Ministre du Travail soutient désormais qu’il sera interdit aux entreprises de tester leurs employés, au prétexte, notamment, que ce serait trop douloureux. Parfaitement chronométrée, l’annonce tombe au moment où les entreprises avaient déjà réalisé de nombreux investissements et commencé à organiser des tests gérés par des laboratoires. La Maire de Paris souhaite elle-même proposer des tests aux enseignants dans le cadre du déconfinement…
Est-il seulement nécessaire de revenir sur les revirements similaires dont nous avons été témoins au sujet des écoles ?
À travers ces exemples, nous faisant à notre tour médecins, nous souhaiterions nous aussi diagnostiquer une maladie nouvelle ou, pour tout dire, peut-être bien ancienne et tristement familière : c’est l’ivresse de piétiner les libertés d’un peuple “enfant” chez un gouvernement persuadé d’être seul lucide. La pyramide des interdits doit monter toujours plus haut ; l’idée que les agissements des citoyens puissent par certains aspects échapper au contrôle devient insupportable ; la capacité de chacun de mener sa propre vie devient un affront à un état d’urgence que certains rêveraient peut-être permanent.
Dans ce nouveau royaume de l’interdit, où l’État prétend ficeler entièrement les vies au risque de contourner parfois les libertés fondamentales, le paradoxe est que les Français se retrouvent bien souvent livrés à eux-mêmes. La justice elle-même est suspendue au moment où le gouvernement rappelle avec gravité la nécessité d’être intraitable sur le respect des consignes sanitaires.
Les oubliés, rendus un temps invisibles par la rhétorique gouvernementale et le déversement d’aides à grands flots, restent plus que jamais livrés à eux-mêmes : travailleurs indépendants gratifiés d’un chèque à usage unique de 1500 euros lorsqu’ils ont pu passer les barrières administratives à son obtention, chauffeurs, femmes de ménage à la petite semaine, nounous, étudiants… Cette fameuse “nouvelle précarité” que le gouvernement souhaitait si ardemment protéger à travers la réforme des retraites, la voici soudainement reléguée dans les interstices vides de ces interdits qui ne pouvaient pas régir la vie d’une nation entière. Remarquons d’ailleurs que pour la réforme des retraites, présentée comme instrument de leur salut et nécessitant l’urgence du 49.3, la priorité a finalement été la suspension du projet. Peut-être le gouvernement n’était-il plus à une contradiction près.
Et parmi les nouveaux oubliés de la décision récente de Madame Pénicaud, nous pouvons ajouter les employés appelés à retourner au travail, qui ont été ou qui seront désormais pour beaucoup “en première ligne” et pourraient se voir privés des protections proposées par leurs entreprises.
Dans l’obsession de la supervision des vies, le gouvernement devient le premier artisan dans la création de zones invisibilisées de non-droit. Il entre ainsi en contradiction directe avec ses intentions, d’ailleurs elles-mêmes contradictoires, aussi pieuses et louables fussent-elles. Nous ne pouvons que nous en inquiéter.