Grâce présidentielle : « Au bon vouloir du président monarque »
La grâce accordée en 2016 à Jacqueline Sauvage par François Hollande a relancé en France le débat sur cette prérogative présidentielle. La survivance de cette pratique monarchique est de plus en plus contestée par la société civile. L’usage montre pourtant que ce pouvoir reste parfois bien utile.
« Le président de la République a décidé d’accorder à Madame Jacqueline Sauvage une remise gracieuse de sa peine ». C’est par ce communiqué de l’Elysée, daté du 28 décembre 2016, que François Hollande a relancé le débat sur la grâce présidentielle.
Nombreuses ont été les personnalités, dont Catherine Deneuve, à se féliciter de cette mesure considérée comme humanitaire. Rappelons que Jacqueline Sauvage a été condamnée à dix ans de prison ferme suite au meurtre de son mari. Un mari que les audiences du procès ont décrit comme violent et dont Jacqueline Sauvage a subi les abus des années durant. Cependant, cette grâce a engendré un fort mécontentement, notamment chez les magistrats, lesquels dénonçaient une faiblesse du président Hollande qui aurait cédé à la pression médiatique.
Grâce ou amnistie ?
Au-delà du contexte, la grâce accordée à Jacqueline Sauvage a réanimé les critiques autour de cette survivance du régime monarchique ; pouvoir régalien du seul Président. Dans une société qui prône l’égalité comme valeur absolue, il est de moins en moins accepté que l’autorité de la justice soit contestée par le bon vouloir d’un seul être.
La grâce présidentielle est le pouvoir, accordé au président de la République, de supprimer la peine encourue par un condamné. Cette mesure se distingue de l’amnistie. L’amnistie signifie littéralement « oubli », elle annule la condamnation. Avec la grâce présidentielle, le jugement demeure inscrit au casier judiciaire du condamné, seule la peine est changée.
La grâce présidentielle survit à tous les régimes
La tradition de la grâce présidentielle remonte à l’ancien régime. C’est au XIVe siècle, sous le règne de Philippe VI de Valois qu’elle est instituée. Réservée tout d’abord aux nobles, elle est rapidement étendue à tous les sujets du royaume. C’est en fait une persistance du droit féodal qui attribuait au Prince les pouvoirs de justice. Supprimée par la Révolution en 1789, la grâce est réintroduite sous le consistoire par Napoléon Bonaparte. Depuis, elle survit à tous les régimes et figure à l’article 17 de la constitution de la Ve république.
Tout au long de l’histoire, les usages que les rois ou présidents ont pu faire de la grâce, ont été très variés. Parfois politique, comme lorsqu’en 1713 Louis XIV gracie 131 protestants pour éteindre le feu des guerres de religion. Grâce politique encore que celle accordée par Charles De Gaule à Philippe Pétain dont la condamnation à mort est commuée en peine d’emprisonnement le 17 août 1945. Le Général souhaitant ainsi prévenir les risques de guerre civile suite à l’épuration.
Philippe Pétain, Alfred Dreyfus, Omar Raddad
La grâce présidentielle obéit parfois à des motifs philosophiques. Ainsi, durant les années de son mandat entre 1906 et 1913, le président Armand Fallières, partisan de l’abolition de la peine capitale, commue systématiquement toutes les condamnations à mort en peine d’emprisonnement. C’est le même motif qui conduit François Mitterrand à gracier Philippe Maurice, le dernier condamné à mort français. Cela juste avant que la loi Badinter mette un terme à la peine de mort.
Motif philosophique et humanitaire toujours, quand le 24 décembre 1934, le président Albert Lebrun, commue la peine capitale de Violette Nozière en une condamnation aux travaux forcés. L’exécution d’une femme aurait été vécue comme une barbarie.
Une mesure pour vider les prisons
Sous François Mitterrand, la grâce présidentielle prend un visage plus social. Le temps de ses deux mandats entre 1981 et 1995, ce dernier a pratiqué les grâces collectives. Devenues un rituel, chaque 14 juillet, elles prononçaient la suppression des peines de 3000 à 4000 condamnés. Cette mesure permettait aussi de vider les prisons.
Enfin, la grâce présidentielle fut aussi maintes fois utilisée pour tempérer les effets d’une erreur judiciaire. Le cas le plus célèbre reste celui du capitaine Alfred Dreyfus, condamné au bagne pour trahison et gracié le 19 septembre 1899 par le président Emile Loubet. Autre affaire restée dans l’histoire, celle de Gaston Dominici, condamné à mort pour le triple meurtre de la famille Drummond et dont la peine est commuée en travaux forcés le 3 août 1957 par le président René Coty.
Plus près de nous, la chronique a retenu l’affaire Omar Raddad, condamné à 18 ans de réclusion pour le meurtre de Ghislaine Marchal. Il est gracié par Jacques Chirac le 10 mai 1996.
Un droit de plus en plus limité
Si la grâce a longtemps été admise comme un pouvoir particulier du président, elle est aujourd’hui de plus en plus contestée. Nicolas Sarkozy, lui-même, avait déclaré, avant de devenir président, vouloir supprimer ce droit ; une fois élu, il a en effet mis fin aux grâces collectives.
Des philosophes comme Robert Redeker, ont critiqué cette survivance de l’ancien régime vécue comme une pratique discriminatoire. De fait, le droit de grâce a vu son champ d’application limité au cours des dernières décennies. En sont notamment exclus les crimes terroristes, les violences faites au mineur de moins de 15 ans, le trafic de stupéfiants ou les actes racistes.
Si l’on comptait dans les années 80 plusieurs milliers de condamnés graciés à chaque mandat présidentiel, sous Nicolas Sarkozy puis avec François Hollande, ce nombre s’est trouvé réduit à quelques unités. Est-ce pour autant la fin de la grâce présidentielle ? Par sûr, car cette prérogative, si elle s’apparente au « fait du prince », permet parfois de remédier aux erreurs judiciaires. Comme quoi il est parfois bon qu’un seul ait raison contre tous.