Entretien avec Delphine Meillet : « Tout le monde est concerné par les atteintes à la vie privée »
Delphine Meillet répond aux questions de Grands-Avocats
Début janvier, le magazine Voici publiait la liste des 10 personnalités ayant obtenu le plus d’argent de sa part devant les tribunaux. S’il s’agissait d’un classement franco-français, le magazine révélait également que de plus en plus de « stars » étrangères se présentaient devant les juridictions françaises. Un phénomène compréhensible : les atteintes à la vie privée sont internationales quand les protections juridiques sont, elles, conçues à l’échelon national.
Delphine Meillet, avocate spécialisée en droit de la presse, évoque avec nous les raisons qui poussent ces personnalités étrangères à porter plainte devant des tribunaux français. Elle partage également un constat : toute personne peut être la cible d’une violation de sa vie privée, quelle que soit sa notoriété.
Grands-Avocats – Première question et retour sur l’actualité du moment : pourquoi les étrangers poursuivent aujourd’hui les médias français alors que ce n’était pas le cas hier ?
Delphine Meillet – En effet, on observe que depuis deux ans, les stars américaines saisissent beaucoup plus les tribunaux français que précédemment. Elles ont tout simplement compris qu’elles avaient la possibilité de poursuivre ici, que les dommages et intérêts étaient importants, et que la France était un pays protecteur en matière de vie privée, beaucoup plus que l’Angleterre ou les États-Unis par exemple.
La France condamne pour les atteintes à la vie privée, aussi bien pour les stars françaises que pour les stars américaines, et ces dernières ont très bien compris ce processus, à l’image de Scarlett Johansson qui a lancé la première salve.
Grands-Avocats – Est-ce que ces célébrités doivent agir dans différents pays pour que leur démarche soit efficace, pour obtenir la suppression de photos par exemple ?
Delphine Meillet – Oui. En tout cas, le juge français va vérifier la manière dont le plaignant – ou demandeur –réagit face aux médias et face aux atteintes à sa vie privée. Il va donc regarder quelle est son attitude globale face à tous les médias, notamment les médias étrangers.
L’idée, c’est de poursuivre en France, et si possible, partout dans le monde. Également sur internet. Il faut qu’il y ait une logique de la part du demandeur, dans son attitude générale et dans ce cas particulier. C’est ce que va demander le juge en matière d’atteinte à la vie privée. D’ailleurs, le montant des dommages et intérêts va varier en fonction de l’attitude du plaignant face aux médias.
Grands-Avocats – Concrètement, une personne qui entame des poursuites contre les médias à la fois en France, en Angleterre, aux États-Unis ou en Russie, donnera plus de poids à sa demande auprès de la justice française ?
Delphine Meillet – Cette demande sera en tout cas renforcée, sur le plan stratégique pourrions-nous dire. Le juge comprendra que cette personne est farouchement opposée au viol sa vie privée.
Mais il faudra également voir quelle est sa relation face aux médias : si le demandeur a un discours très libre par rapport à sa vie privée, c’est-à-dire qu’il la révèle lui-même, le juge sera évidemment moins compréhensif lorsqu’il verra que cette personne engage des poursuites judiciaires.
Grands-Avocats – Est-ce que l’atteinte à la vie privée ne concerne que les célébrités ?
Delphine Meillet – La réponse est bien sûr non : l’atteinte à la vie privée concerne tout le monde. Nous avons tous une vie privée et à titre d’exemple, en tant qu’avocate, je suis régulièrement consultée par des jeunes femmes dont les ex-compagnons diffusent des photos volées à caractère pornographique sur les réseaux sociaux. Et ce dans le but d’atteindre et de blesser les personnes aussi bien psychologiquement que physiquement.
Aujourd’hui, et plus encore avec le développement d’internet, on se rend donc bien compte que la vie privée concerne tout le monde et plus seulement les stars.
Grands-Avocats – Mais justement, si les atteintes à la vie privée touchent tout le monde, est-ce que les juges traitent pour autant ces différentes affaires de la même manière ?
Delphine Meillet – Je n’apprendrai rien à personne en disant que la justice traite différemment les célébrités des personnalités non-médiatiques, notamment parce qu’on considère que le préjudice et le retentissement public seront différents.
Mais le juge va vérifier si l’atteinte à la vie privée va provoquer un retentissement dans la vie professionnelle de la personne touchée. Dans ce cas, qu’on soit célèbre ou non, la justice va réclamer des dommages et intérêts importants. Mais généralement, ces derniers sont moindres lorsque l’on ne bénéficie pas d’une forte exposition médiatique.
Dans tous les cas, le dénominateur commun sur lequel le juge va fonder sa décision, c’est le préjudice. C’est la vraie question et c’est à l’avocat de prouver l’étendue de ce préjudice, avec des attestations ou des témoignages par exemple.
Grands-Avocats – Autre question importante : qui est responsable lors de la publication de photos de ce type, comme celles que vous évoquiez précédemment ?
Delphine Meillet – Il importe d’abord de savoir si ces photographies ont été volées, ou pas. Ce peut être le cas à partir de votre téléphone, de votre ordinateur ou via iCloud comme on a pu le voir très récemment. Dans cette situation, c’est le hacker qui est responsable mais encore faut-il le trouver pour le poursuivre en justice.
Lorsqu’il s’agit de médias plus traditionnels, comme la presse people par exemple, c’est le directeur de publication, mais aussi le journaliste et le photographe qui sont responsables devant la loi, et que l’on peut donc poursuivre pour atteinte à la vie privée.
Grands-Avocats – Pour aller plus loin sur la question de la responsabilité, est-ce que l’on peut être jugé responsable lorsque des photos volées sortent sur le web et qu’on les partage sur les réseaux sociaux par exemple ?
Delphine Meillet – En théorie, dès qu’il y a nouvelle diffusion de l’objet visé, c’est-à-dire dès qu’une personne republie et rediffuse une photo volée pour reprendre cet exemple, elle devient auteur de l’infraction. À partir de ce moment, la responsabilité est partagée.
Grands-Avocats – À titre personnel, est-ce que vous avez l’habitude de traiter ce type de dossiers ? Et pour quel(s) type(s) de clients ?
Delphine Meillet – Effectivement, étant spécialiste des questions d’atteinte à la vie privée, j’ai l’habitude d’être confrontée à ce genre de problématiques. Je travaille à la fois pour des clients qui sont des personnalités publiques mais aussi pour des particuliers non-médiatisés car comme je le disais précédemment tout le monde est concernée par l’atteinte à la vie privée.
Aujourd’hui, la clientèle d’un avocat spécialisé dans les questions de vie privée est donc très variée : il suffit qu’une photo vous atteigne, qu’elle soit publiée et qu’elle vous porte préjudice pour que l’infraction soit constituée et que vous ayez à faire appel aux services d’un spécialiste. N’importe qui peut donc être touché.
Grands-Avocats – En tant qu’avocate, avez-vous d’autres domaines de spécialité ?
Delphine Meillet – Oui, j’interviens dans d’autres domaines, au pénal et au civil notamment, même si ma spécialité reste avant tout l’atteinte à la vie privée. Naturellement, je suis habilitée pour intervenir dans tous les domaines de la vie courante des individus.