Le « doxing » : enquête sur une pratique toxique
Phénomène en plein essor, car ne requérant aucune compétence technique particulière, le doxing a pour but de nuire à la réputation d’une personne en rendant publiques un maximum d’informations la concernant. Coordonnées, adresse, numéro de téléphone, pseudonymes utilisés sur différents sites, photos intimes sont ainsi regroupés et offerts en pâture par des internautes aux méthodes souvent contestables.
L’exemple de Charlottesville
Charlottesville, août 2017. Depuis plusieurs jours, la petite ville de Virginie voit défiler des manifestants d’extrême-droite hostiles au démantèlement d’une statue du controversé général sudiste Robert Lee. Sur place, la violence atteint son paroxysme lorsqu’une contre-manifestante est renversée par la voiture d’un suprématiste blanc. Des internautes s’emparent de cet évènement qui choque l’Amérique et décident d’enquêter sur les centaines de militants néo-nazis dont les photographies ont été mises en ligne par le compte Twitter @YesYoureRacist.
Des dizaines de manifestants sont rapidement identifiés et leurs informations personnelles sont diffusées sur le fil de discussion. Avec pour résultat des licenciements des personnes concernées, des menaces de mort et des drames familiaux. Pire, certains individus hâtivement dénoncés n’étaient même pas présents sur les lieux de la manifestation. Toute l’ambiguïté du doxing est résumée dans cet évènement : prétendant souvent agir pour une juste cause, les enquêteurs en herbe provoquent des dommages qui se soldent parfois par des drames allant jusqu’au suicide.
Chasse à l’homme
Issu du verbe anglais « to document » (documenter, fournir des preuves), le doxing est une pratique née aux Etats-Unis dès le milieu des années 1990 parallèlement à l’essor d’Internet. Le premier exemple significatif peut être attribué au site The Nuremberg Files : fondé par un militant anti-IVG, ce forum offrait à ses utilisateurs un listing de cliniques et de médecins pratiquant l’avortement, mettant à la disposition des internautes toutes les informations nécessaires pour retrouver les praticiens. Ces noms, adresses et photographies d’identité ont permis à de nombreux activistes d’exercer une justice sommaire, aboutissant au meurtre du docteur Barnett Slepian en 1998.
Depuis, la pratique n’a cessé de s’étendre, tout comme les raisons poussant à accomplir une telle démarche. Le doxing peut être motivé par un désir de revanche ou d’exercer un chantage, par des préoccupations éthiques ou politiques, ou tout simplement par un esprit de compétition entre internautes. Cette dernière raison explique pourquoi un grand nombre de victimes se retrouvent parmi les célébrités, les joueurs de jeux vidéo en ligne et les hackeurs.
Notice complète pour le cyber harcèlement
En rentrant quelques mots sur un moteur de recherche, des dizaines de tutoriaux expliquent pas à pas les moyens de cibler un individu. Les méthodes pour organiser la collecte d’informations et pour les diffuser au plus grand nombre s’avèrent d’une simplicité déconcertante, souvent facilitée par l’imprudence des utilisateurs de forums ou de réseaux sociaux. Une simple demande d’ami acceptée sur Facebook donne accès, sur un compte peu protégé, au nom, l’adresse, date de naissance, numéro de téléphone et à des photos parfois compromettantes.
Si les réseaux sociaux tels que Twitter, Instagram ou Pinterest sont scrutés à la loupe par les doxers, d’autres sources sont utilisées pour la collecte d’informations. Il est ainsi possible, par le biais d’outils très simples, de connaitre l’adresse IP d’un internaute, d’identifier ses pseudonymes sur les sites qu’il fréquente ou même, grâce à Google, d’obtenir une photo de son domicile.
Selon une étude menée en 2017 par des chercheurs des universités de l’Illinois et de New York (Fifteen minutes of unwanted fame: detecting and characterizing doxing), le doxing, s’il touche toutes les catégories de la population, cible majoritairement des hommes (qui constituent 82 % des victimes), âgés en moyenne de 21 ans.
Ce que dit la loi
Si une personne a volontairement renseigné, sur un site accessible à tous, ses coordonnées ou ses photos, rien n’interdit à un tiers de récupérer ces informations. Voilà pourquoi une vigilance accrue s’impose à chaque utilisateur d’Internet lorsqu’il rend publiques des données personnelles qui, si elles paraissent anodines, pourraient lui porter préjudice en cas d’attaque. Si la collecte de données publiques n’est pas illégale, leur utilisation est, elle, sanctionnée par plusieurs articles du Code pénal. Les « atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques » peuvent être punies de cinq ans d’emprisonnement et de 300.000 € d’amende.
D’autres chefs d’inculpation peuvent être établis, tels que l’atteinte à la vie privée, l’atteinte au secret ou la dénonciation calomnieuse. L’interception de messages privés ou l’intrusion dans les fichiers d’un ordinateur sont, eux aussi, punis par la loi. En cas d’attaque, il convient de porter plainte immédiatement et d’adopter quelques mesures urgentes. Il peut être judicieux de fermer ses comptes sur les réseaux sociaux, ou même de faire appel à un tiers pour gérer les messages diffamants.
Etre confronté à ce type de pratique peut en effet être extrêmement éprouvant pour les nerfs de la personne ciblée. Le problème doit aussi être immédiatement signalé aux sites tels que Facebook, Twitter ou Google, qui disposent d’outils efficaces pour lutter contre le doxing. De nombreux efforts restent néanmoins à faire pour faire face à cette pratique fortement dommageable.