Cyberharcèlement : bientôt de nouvelles mesures ?
L’affaire avait au moins eu le mérite de faire parler de ce phénomène : en septembre 2014 des centaines de photos de célébrités stockées sur le Cloud d’Apple avaient été piratées et diffusées en ligne par un hacker. La diffusion de photos intimes est en effet de plus en plus fréquente sur Internet et les sites de « revenge porn » se sont multipliés, alimentés par des pirates ou des amants délaissés. L’un d’eux, Kevin Christopher Bollaert, a récemment été condamné à 18 ans de prison en Californie après avoir publié des dizaines de milliers de photos sexuellement explicites sans le consentement des personnes concernées. Mais qu’en est-il de la France ?
Des dispositifs législatifs ambigus
Le 16 mars dernier, la chambre criminelle de la Cour de cassation a tranché : un homme coupable d’avoir diffusé une photo intime de son ex-compagne a vu sa peine annulée car d’après les magistrats : « N’est pas pénalement réprimé le fait de diffuser, sans son accord, l’image d’une personne réalisée dans un lieu privé avec son consentement ». Le fait de publier des photos ou des vidéos d’un(e) ex- amant(e) après une rupture ne serait donc pas reconnu comme un délit par le code pénal, en raison du consentement au moment des faits.
Mais en mars 2015 la cour d’appel de Nîmes avait quant à elle estimé que consentir à être pris en photo ne signifiait pas consentir à sa diffusion. D’après l’ article 226-1 du Code pénal : « Est puni d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende le fait, au moyen d’un procédé quelconque, volontairement de porter atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui En fixant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de celle-ci, l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé. ».
Alors, comment expliquer ce jugement opposé ? L’ambiguïté réside dans le texte suivant, l’article 226-2 du Code pénal qui stipule : « Est puni des mêmes peines le fait de conserver, porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit tout enregistrement ou document obtenu à l’aide de l’un des actes prévus par l’article 226-1. » L’article 226-1 insistant sur la notion de consentement, la Cour de cassation a donc jugé que le consentement de la victime au moment de la photographie rendait cet article irrecevable.
Le droit civil est pourtant clair sur ce point, d’après l’article 809 du code de procédure civile, si une image diffusée sans autorisation ou même si en cas de menace de diffusion, le juge du tribunal d’instance, ainsi que la CNIL peuvent intervenir puisqu’il s’agit d’une violation de l’article 9 du Code civil interdisant la violation de la vie privée.
La loi en cours d’adaptation
Pour remédier aux lacunes du droit face aux nouveaux enjeux liés à Internet, le projet de loi pour une République numérique a été adopté en première lecture le 26 janvier dernier. Porté par Axelle Lemaire, la secrétaire d’État chargée de cette question, ce texte introduit notamment une protection accrue des données personnelles et surtout la pénalisation expresse du « revenge porn ». L’article 33 quater prévoit effectivement une peine de 2 ans de prison et 60 000 euros d’amende pour sanctionner « le fait de transmettre ou de diffuser sans le consentement exprès de la personne, l’image ou la voix de celle-ci, prise dans un lieu public ou privé, dès lors qu’elle présente un caractère sexuel».
Défendu dans l’hémicycle par la présidente de la délégation aux droits des femmes, la socialiste Catherine Coutelle, cette mesure permettra surtout de protéger les femmes qui sont les plus touchées par le harcèlement sur Internet. D’après le député : « Si le numérique est un espace où le cyberféminisme peut s’exprimer, c’est aussi un espace de diffusion du sexisme ».
La nécessaire coopération des entreprises du Web
Si l’État commence à s’intéresser à la question, les géants de la Silicon Valley ont déjà commencé à s’attaquer au problème. Il est par exemple possible de demander à Google le déréférencement de photos intimes publiées à son insu, afin de les faire disparaître du moteur de recherche (même si le contenu restera toujours en ligne). Depuis mars, Twitter interdit par ailleurs les « photos ou vidéos intimes prises ou diffusées sans le consentement du sujet» suite à une mobilisation du collectif féministe #Twitteragainstwomen qui dénonçait le laxisme et le manque de transparence des réseaux sociaux en terme de la modération.
Mais si les femmes sont les principales victimes du cyberharcèlement, les mineurs sont également les proies de cette nouvelle forme de violence dématérialisée. Ainsi 40 % des jeunes de 13 à 16 ans auraient déjà été touchés par ce phénomène. La prévention face aux menaces numériques doit donc être renforcée et la protection des données personnelles devrait faire l’objet d’un apprentissage dès le plus jeune âge.