Avocats, secret professionnel, écoutes et perquisition : que dit la loi ?
Le 4 mars dernier, plusieurs perquisitions ont eu lieu au cabinet ainsi qu’au domicile de Me Thierry Herzog, avocat de Nicolas Sarkozy. La presse divulguait que les échanges téléphoniques entre l’avocat et son client avaient fait l’objet d’un placement sur écoute. La révélation de ces informations a provoqué une levée de boucliers parmi les robes noires, dénonçant une atteinte aux droits de la défense et au secret professionnel. Comment encadre-t-elle ce secret professionnel et quels sont les cas où celui-ci peut être contourné ? Qu’est-ce qui justifie qu’un avocat puisse être mis sur écoute et son cabinet perquisitionné ?
Si les professions soumises au secret professionnel dérogent à certaines règles en matière d’écoutes téléphoniques et de perquisitions, la loi fixe néanmoins quelques conditions bien précises permettant une mise sous surveillance des protagonistes. Il est en effet prévu des cas particuliers où un avocat peut être placé sur écoute, ou encore son bureau perquisitionné dans le cadre d’une information judiciaire.
Un secret professionnel garanti par la loi
Le secret professionnel des avocats, notamment les échanges avec leurs clients, est régi par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971. Il y est rappelé que toute correspondance, tout échange et toute pièce du dossier sont protégés par le secret professionnel. En outre, le Code de procédure pénale (CPP), par le biais de l’article 100-5, stipule que les échanges entre un avocat et son client « ne peuvent être transcrits » s’ils relèvent de l’exercice des droits de la défense. La Cour de Strasbourg, ou Cour européenne des droits de l’homme entérine elle aussi la confidentialité de tels échanges par un arrêt du 18.05.1982, tandis que selon le code de déontologie du Conseil des Barreaux de l’Union européenne, le secret professionnel est un « droit et devoir fondamental et primordial de l’avocat« . Mais si ces articles reconnaissent et assurent le secret professionnel des avocats, cela ne signifie pas pour autant qu’aucune investigation ne puisse être menée à l’encontre d’un membre du barreau.
Qu’est-ce exactement qu’une « écoute », et quels sont les motifs qui la justifient ?
Une interception de communication peut être soit administrative, soit judiciaire. Les écoutes administratives concernent la sécurité nationale, et leur mise en place peut être demandée par les ministères de l’Intérieur, des Douanes et de la Défense. Ces demandes passent à la fois par le Premier ministre, qui doit donner son accord, et par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS). Quant aux interceptions judiciaires, régies par les lois du 10 juillet 1991, du 8 février 1995 et du 9 mars 2004, elles sont motivées par la recherche de personnes en fuite (article 74-2 du CPP) ou par des délits passibles de plus de deux ans de prison.
Le Procureur de la République, ainsi que le juge d’instruction sont seuls habilités à mettre en place ces écoutes. Il peut aussi arriver que pour déjouer toute surveillance, une personne se sachant écoutée se serve d’une ligne téléphonique dont il n’est pas le titulaire officiel. Si le magistrat instruisant l’enquête prend connaissance de ceci, cette ligne, si elle parvient à être identifiée, sera alors elle aussi interceptée.
Quelles pièces verser au dossier ?
Les communications de la personne suspectée seront alors surveillées par un officier de police judiciaire, qui retranscrira sur procès-verbal les éléments en rapport avec l’investigation (article 100-5 du CPP). Mais que se passe-t-il si cet officier constate une infraction n’ayant pas de lien avec l’enquête initiale ? Le président de l’Union syndicale des magistrats, Christophe Régnard, précise: « L’article 40 du Code de procédure pénale oblige le juge à avertir le procureur de toute infraction qu’il découvrirait, même si cela ne concerne pas l’enquête. On appelle cela une procédure incidente, cela se fait tout le temps. ». De plus, un arrêt de la Cour de cassation, datant de 2003, valide la transcription d’écoutes pour des faits « fussent-ils étrangers à la saisine du juge d’instruction ». Une fois informé, c’est le procureur qui avisera des suites à donner, et sans son aval, le juge n’aura pas le droit d’enquêter de sa propre initiative, sous peine de nullité de la procédure.
Le cas des avocats
Certes, un membre du barreau est couvert par le secret professionnel. Mais cela ne le préserve pas d’une interception de communications s’il est soupçonné de l’une des infractions mentionnées, entrainant ainsi l’application de l’article 100 du Code de procédure pénale à son encontre. La loi Perben II prévoit aussi qu’un avocat puisse être inquiété s’il s’avère être en possession d’informations ayant servi à masquer d’autres crimes ou délits, ou à empêcher la manifestation de la vérité. Dans ces cas bien précis, les règles relatives au secret professionnel et aux droits de la défense ne s’appliquent plus à l’avocat. Le bâtonnier en exercice devra être informé de ce placement sur écoute. Ce sont ces procédures qui ont été appliquées dans l’actualité récente à Me Herzog ainsi qu’à Nicolas Sarkozy, lui-même membre du barreau.
Perquisition, saisie d’objets et de données
Le cas d’une perquisition chez un avocat est elle aussi prévue par la loi, via l’article 56-1 du Code de procédure pénale. Le juge se doit alors de motiver par écrit sa décision, d’indiquer la nature de l’infraction visée et d’en justifier le bien-fondé. Le bâtonnier doit en être informé et être présent lorsque la perquisition est effectuée. Sur place, l’article 56-1 du CPP prévoit qu’ « Aucune saisie ne peut concerner des documents ou des objets relatifs à d’autres infractions ». Tous types ou supports de documents en rapport avec l’enquête peuvent être saisis, qu’il s’agisse de dossiers papier, de matériel informatique ou de smartphone.
Un équilibre délicat
L’énumération de tous ces textes peut être résumée ainsi : oui, l’avocat jouit d’un secret professionnel, mais uniquement sous condition. Loin de sanctuariser la profession, la loi encadre et prévoit des dérives dont certains membres du barreau pourraient être tentés. Sans citer de noms, les exemples, s’ils ne sont pas d’une extrême fréquence, existent néanmoins. Le tout est de trouver un juste équilibre, pas toujours très simple à respecter, entre des investigations nécessaires et un secret professionnel tout aussi nécessaire au bon accomplissement de la profession. Si certains avocats se sont sentis récemment menacés dans leur intégrité, ce n’est pas tant que ces derniers remettent en cause des lois maintenant bien ancrées et acceptées par tous : c’est l’usage qui est fait de ces lois qui leur pose problème, d’où les déclarations fracassantes et les pétitions initiées par d’éminents plaideurs.
La justice à l’écoute
Des interceptions téléphoniques qui connaissent un accroissement sans précèdent ces dernières années. Nous sommes bien loin des « bretelles » posées sur les lignes analogiques, et le tout numérique a pour cela bien facilité les choses. A l’heure où la toute nouvelle plateforme nationale des interceptions judiciaires, gérée par la société Thales, s’apprête à être inaugurée, ce ne sont pas moins de 650 000 réquisitions judiciaires qui ont été adressées aux opérateurs de communication électronique pour l’année 2012. 20 000 interceptions téléphoniques et 12 000 géolocalisations ont été menées par les forces de l’ordre cette même année.