Autorisation du démarchage des avocats : un décret qui fait débat
Le sénat a adopté en septembre un décret autorisant le démarchage et la publicité pour les avocats. C’est une évolution majeure. Au sein de la profession les avis sont partagés. Certains y voient les prémices d’une dérive à l’américaine. D’autres estiment qu’il s’agit d’une nécessaire modernisation du métier.
C’est une petite révolution qui est en cours dans le monde des avocats. Le démarchage de clients qui était interdit par la loi, va bientôt être autorisé. Un avocat désireux de faire connaître ses services ne disposait jusqu’à maintenant que du bouche à oreille. Il va pouvoir maintenant recourir à l’ensemble des outils de la publicité, dans un cadre qui reste néanmoins à définir.
Le décret adopté par le sénat, le 13 septembre 2013, stipule en effet que : « dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État, l’avocat est autorisé à recourir à la publicité ainsi qu’à la sollicitation personnalisée ». Cette décision a été adoptée au cours du débat sur le projet de loi sur la consommation (projet Hamon). Elle constitue en réalité une mise en conformité de la législation française avec les recommandations de l’Union Européenne. En effet, les services de la concurrence de l’Union considèrent que l’interdiction de démarchage qui est faite aux avocats – mais aussi aux notaires, pharmaciens, experts-comptables – constitue une entrave à la libre concurrence. Un point de vue repris par la Cours de Justice Européenne (CJUE) qui estime que l’interdiction pour une profession réglementée d’avoir recours à la publicité, est contraire à l’organisation des services au sein de l’Union.
Un nouveau modèle économique
Le décret va mettre fin à une grande ambigüité. En effet, si le démarchage est aujourd’hui interdit pour les avocats, la publicité en revanche est, sous certaines conditions, autorisée. En résumé, un avocat dispose du droit de faire connaître ses services en général, mais n’est pas légitime à en informer une personne en particulier. La frontière entre publicité et démarchage est si ténue que de crainte d’être sanctionnés par le conseil de l’ordre la plupart des avocats renoncent à toute publicité.
Avec cette autorisation, c’est donc un fondement de la profession qui est ainsi touché. C’est même l’ensemble du modèle économique du métier qui va être bouleversé. Il n’est donc pas étonnant que cette nouvelle disposition légale divise les prétoires. Du côté des opposants, on craint que cette nouvelle législation n’aboutisse à entrouvrir la boite de pandore. L’autorisation de démarchage serait la porte ouverte vers une mercantilisation à outrance de la profession. La déontologie nécessaire à l’application du droit pourrait s’en trouver à terme menacée.
En outre, les adversaires du décret estiment qu’il va avantager les gros cabinets au détriment des plus modestes. En effet, seules les grosses structures pourront supporter les coûts engendrés par les campagnes de publicité et de communication. Enfin, des voix s’élèvent pour noter que dans une profession qui accuse déjà un surnombre, attiser la concurrence risque de rendre très problématique l’installation des jeunes diplômés.
Dérive à l’américaine
Le premier argument avancé par les partisans de la nouvelle loi, est celui de la nécessaire modernisation de la profession. Le bouche à oreille était adapté à une époque aujourd’hui révolue. Celle du temps où les supports d’information étaient rares et où on acceptait de se déplacer pour obtenir les premiers renseignements. Aujourd’hui, la communication explose et l’on veut être informé dans l’instant.
Il devenait donc pénalisant pour les avocats de s’en tenir à une manière qui ne correspond plus au mode de vie du public. Par ailleurs, les adeptes du changement rappellent que de nombreuses personnes renoncent à faire valoir leurs droits faute d’être bien informées. La possibilité de recourir à la publicité devrait, en la matière, améliorer la situation.
Dans les faits à quoi peut-on s’attendre ? Il est encore trop tôt pour se faire une idée précise. Doit-on envisager un virage à l’américaine ? Aujourd’hui, la publicité pour les cabinets d’avocats est omniprésente aux Etats-Unis. Smartphone, Internet, journaux, télévisions, aucun support n’est écarté. Statistiques à l’appui – sur le pourcentage d’affaires gagnées -, la publicité sur les services proposés par les avocats ne cesse de présenter la profession comme la solution à tout problème. Vous êtes en retard au travail ? C’est la régie de transport qui est en cause en ne desservant pas assez régulièrement votre quartier. Vous avez pris un coup de soleil ? Les autorités municipales doivent être assignées pour avoir négligé de disposer sur les plages des panneaux d’informations sur les risques de l’exposition solaire. En caricaturant à peine, on pourrait avancer qu’aux Etats-Unis, l’avocat crée l’affaire alors qu’en France l’affaire nécessite un avocat.
En France, pour savoir quel visage aura demain la publicité sur les avocats, il faudra patienter encore un peu. C’est le décret d’application de la loi qui fixera le cadre du démarchage et de la sollicitation de personne. Il est un point cependant sur lequel tout le monde s’accorde, un fonctionnement à l’américaine n’est pas souhaitable. Personne en France, ne tient à retrouver une situation où les avocats poussent, en quelques sortes, à la consommation de procès. Cette unanimité a de quoi rassurer même si l’on sait que souvent l’attrait du gain l’emporte sur les grands principes.