Affaire Wildenstein: encore mieux que Netflix
L’affaire Wildenstein est complexe comme un montage financier, chargée comme les tableaux impressionnistes si prisés de cette famille de marchands d’art. Depuis la mort du patriarche Daniel Wildenstein en 2001, le clan enchaîne les conflits, entre succession, recel d’oeuvres et manœuvres fiscales.
Guerre de succession…
Le 23 octobre 2001 s’éteint Daniel Wildenstein, des suites d’un cancer. Directeur de la Gazette des Beaux-Arts, rédacteur de nombreux catalogues raisonnés, dont celui de Claude Monet, il fait la pluie et le beau temps sur le marché de l’art. Expert de la période impressionniste, tous les propriétaires de tableaux ou de sculptures de Paris à New York veulent le rencontrer. Évaluations, ventes, identifications… l’avis de Daniel est considéré comme parole d’évangile.
Suite à sa mort, ses deux fils Guy et Alec Wildenstein, viennent convaincre leur belle-mère Sylvia Roth de renoncer à sa part d’héritage, après lui avoir appris que Daniel était en fait mort sans le sou, ruiné par le fisc. Si la veuve se tenait loin des affaires de son mari, elle savait que le chef de famille avait en effet été visé par un redressement fiscal l’année précédente. Surtout, elle a toute confiance en ces deux hommes qu’elle avait connus jeunes garçons. Ces derniers lui offrent même la jouissance d’un appartement de 350 mètres carrés en plein Paris, accompagné du personnel nécessaire à son entretien et d’un pécule. Sylvia signe la renonciation à l’héritage.
Seulement, Sylvia partage avec son mari la passion des courses hippiques. Lorsqu’elle comprend qu’elle va perdre la propriété de six pur-sang, Sylvia se rebelle. Avec l’aide de son avocate Me Dumont Beghi, qui ne croit en rien la prétendue ruine, elle entame une procédure d’annulation de sa renonciation. La lutte est souterraine, encore inconnue des médias, mais néanmoins efficace. La justice cède en faveur de Sylvia en avril 2005, et c’est le début du feuilleton.
… et succession de guerres
Toute la succession doit être réévaluée. Et l’enquête de Me Dumont Beghi va révéler un spectaculaire montage financier, une succession de trusts destinés à masquer la colossale fortune Wildenstein. Alors que les héritiers de Daniel avaient déclaré 43 millions d’euros au Fisc, leur patrimoine a depuis été estimé entre 5 et 10 milliards.
En 2009, l’avocate de Sylvia dépose une plainte à l’encontre de Guy Wildenstein et les enfants d’Alec, décédé en 2008, pour organisation frauduleuse d’insolvabilité et blanchiment d’argent. Sylvia décède elle aussi d’un cancer en 2010, et l’année suivante, c’est Bercy qui dépose plainte pour fraude fiscale.
Puis, les rebondissements s’enchaînent dans ce «Dallas sur Seine»! En février 2011, Liouba Stoupakova, la veuve d’Alec, entre à son tour en guerre contre le clan Wildenstein. S’estimant exclue de la succession, elle dépose une plainte pour abus de confiance et fournit de nouveaux éléments à la justice.
Puis, le 6 juillet 2011, une quatrième affaire s’ouvre contre Guy Wildenstein! Ce dernier est accusé de recel de biens provenant d’abus de confiance, après qu’une perquisition dans la collection familiale mette en lumière plusieurs tableaux d’origine douteuse. Dans la foulée, les héritiers de Daniel subissent un premier redressement, à hauteur de 450 millions d’euros.
L’administration fiscale leur en adressera un autre en 2014, cette fois sur les successions de Daniel mais aussi d’Alec, pour un montant total de 550 millions d’euros.
Finalement, le procès des héritiers Wildenstein, à savoir Guy, sa belle-sœur Liouba et son neveu Alec Junior, commencera en janvier 2014. Sur le banc des accusés, on retrouve également la Royal Bank of Canada Trust Company, la Northern Trust Fiduciary Services, ainsi que trois conseillers de la famille (deux notaires et un avocat).
Une affaire qui fera date
À l’époque, le Parquet national financier estime qu’il s’agit de la fraude fiscale «la plus longue et la plus sophistiquée» de l’histoire française récente, et avait réclamé une peine de quatre ans de prison, ainsi que 250 millions d’euros d’amende contre Guy.
Le verdict tombe finalement le 12 janvier 2017. Et c’est encore un (ultime?) coup de théâtre! Guy Wilderstein est relaxé à la surprise générale, alors même que l’intention de fraude « crève les yeux ». Le président de la 32e chambre du tribunal correctionnel de Paris déclarait: «Le tribunal a conscience que la décision peut être incomprise par le peuple français […] Le patrimoine a clairement été dissimulé, sur plusieurs générations, avec une claire intention d’évasion fiscale». Pourquoi alors cette relaxe?
Elle est en fait symptomatique de la faiblesse législative française. Le système de trust est avant tout une spécialité anglo-saxonne, inexistante en droit français. Ou plutôt, inexistante jusqu’à juillet 2011, où le premier redressement des Wildenstein avait accouché d’une loi éponyme, obligeant les citoyens à déclarer leurs biens logés dans des trusts.
Or, la loi n’est pas rétroactive, et les faits reprochés à la famille remontent au plus tôt à 2009. Bien que volontairement frauduleux, ils n’étaient donc pas justiciables. Le tribunal avait également blâmé les enquêteurs, jugés incapables de démontrer que les trusts étaient fictifs, uniquement destinés à dissimuler les milliards au fisc…
Pour Me Dumont Beghi, cette relaxe mettait en évidence la lenteur, voire le manque de volonté du système législatif de l’époque. Peu semblaient en effet pressées de juger Guy Wildenstein, ami du président de l’époque Nicolas Sarkozy, et mécène de l’UMP. L’administration fiscale avait d’ailleurs déposé plainte seulement dix jours avant la prescription des faits, alors que les premiers éléments remontent à 2005… « Paris, ton univers pas forcément impitoyable ! »
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