Affaire Treiber : quand le silence étouffe la justice
Parmi les énigmes policières ayant défrayé la chronique, l’affaire Treiber est un cas à part. Ici l’impossibilité de rendre justice ne vient de l’absence de preuves. Au contraire, de nombreux éléments éclairent la mort de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier. Si l’affaire demeure à jamais irrésolue, elle le doit au silence, à ce silence particulièrement tonitruant qui enterre la justice.
Recroquevillé sur sa paillasse, un homme dort dans sa cellule du quartier de haute sécurité de la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Le prisonnier est à l’isolement complet, comme le veut la procédure, un gardien passe le surveiller toutes les deux heures. Le détenu N° 37700 n’est autre que Jean-Pierre Treiber mis en examen pour l’assassinat de Géraldine Giraud, la fille du comédien Roland Giraud, et de Katia Lherbier. Au matin du 20 février 2010, Jean-Pierre Treiber est retrouvé pendu dans sa cellule. Avec la mort du principal suspect, l’action publique s’éteint et l’affaire se transforme en énigme définitive.
Un « innocent » accablé par les charges
C’est le 1er novembre 2004 que l’affaire Treiber commence quand une alerte est lancée suite à la disparition de Géraldine Giraud et Katia Lherbier. Les deux jeunes filles qui s’étaient rencontrées quelques semaines plus tôt, vivent une relation d’amour passionnée. Elles avaient décidé de passer quelques jours ensembles dans la maison que possède Roland Giraud dans l’Yonne à une centaine de kilomètres de Paris.
La police va rapidement se mettre sur la piste de Jean-Pierre Treiber. Ce dernier a en effet utilisé à deux reprises, dans un supermarché et dans une station-service, les cartes bancaires des deux jeunes filles. Les caméras de surveillance l’identifient sans erreur possible. Et lorsque, le 23 novembre 2004, la police interpelle Jean-Pierre Treiber à son domicile, elle découvre, parmi les cendres d’un feu, des éléments de téléphone portable, de vêtements et des clefs, appartenant aux deux jeunes filles. Jean-Pierre Treiber clame son innocence, mais il est mis en examen pour « enlèvements, séquestrations, vols et escroqueries ». Il sera aussitôt écroué à la maison d’arrêt d’Auxerre.
Quelques jours plus tard, les policiers découvrent les corps des deux jeunes filles au fond d’un puisard près de la maison de Jean-Pierre Treiber. Les corps sont carbonisés, il faudra recourir aux tests ADN pour les identifier. Le 20 décembre Jean-Pierre Treiber est mis en examen pour assassinat.
En quête d’un mobile
C’est paradoxalement au moment où tout accuse Jean-Pierre Treiber que l’enquête se complexifie. L’expertise des corps ne montre aucune trace de coups ou de violence sexuelle. Et si Jean-Pierre Treiber a utilisé les cartes bancaires des jeunes filles, il l’a fait pour des sommes dérisoires. De fait, le crime semble n’obéir à aucun mobile.
Mais lorsque l’expertise toxicologique conclut à une mort par empoisonnement, suite à l’inhalation de chloropicrine, l’enquête s’intéresse alors à Marie-Christine Van Kempen, la tante de Géraldine Giraud. Les enquêteurs vont en effet retrouver à son domicile des traces importantes du poison qui a entraîné la mort des deux jeunes filles.
Les explications de Marie-Christine Van Kempen ne sont pas convaincantes. Elle prétend utiliser ce poison comme insecticide pour ses plantes. De plus, la police découvre qu’elle entretenait une relation passionnée avec Katia Lherbier avant que celle-ci ne la quitte pour rejoindre Géraldine Giraud. Du coup les enquêteurs inclinent à voir en Marie-Christine Van Kempen la commanditaire d’une expédition punitive qui aurait mal tourné.
Un autre élément vient étayer la thèse de la complicité. Alors que Marie-Christine Van Kempen a toujours affirmé ne pas connaître Jean-Pierre Treiber, la propriétaire d’un café prétend les avoir vus ensemble en compagnie de Patricia Darbeau, la compagne de Jean-Pierre Treiber. Mais ce témoignage sera réfuté par l’instruction quelques semaines plus tard.
Les soupçons de la police vont conduire à la mise en examen et à l’incarcération de Marie-Christine Van Kempen et de Patricia Darbeau. La première pour complicité d’homicide, la deuxième pour recel d’argent volé. Elles seront incarcérées le 25 novembre 2005 avant d’être relâchées en février 2006, faute d’éléments probants
A la recherche de l’ADN perdu
Entre temps l’enquête a connu un épisode tragi-comique avec la découverte d’une trace d’ADN, autre que celle de Jean-Pierre Treiber, sur les rubans adhésifs ayant servi à bâillonner Géraldine Giraud et Katia Lherbier. La police se met en quête d’un éventuel complice. Elle multiplie les tests ADN dans l’entourage de Jean-Pierre Treiber, en vain.
Cette traque trouvera un épilogue grotesque, lorsqu’on découvre que les traces relevées sur le ruban adhésif appartiennent à un policier qui, selon l’expression établie, a pollué la scène du crime.
Avec un suspect accablé par les charges, mais clamant son innocence, des complices introuvables, l’enquête tourne en rond. Le 8 septembre 2009, un nouveau coup de théâtre replace l’affaire au centre du tapage médiatique. Jean-Pierre Treiber s’évade de la maison d’arrêt d’Auxerre en se dissimulant dans un carton. Sa cavale va durer presque trois mois. Jean-Pierre Treiber en profitera pour écrire à la presse et clamer une nouvelle fois son innocence. Il est interpellé par le RAID le 20 novembre 2009 à Melun. On le transfert à Fleury-Mérogis où il se donne la mort trois mois plus tard.
C’est ainsi que l’affaire se transforme en impasse. Une fin que les proches des victimes redoutaient plus que tout : la justice reste impuissante à faire la lumière sur la mort de Géraldine Giraud et de Katia Lherbier. Roland Giraud témoignera de la violence de cette situation. Fait exceptionnel, Michel Cunault, l’officier chargé de l’enquête, exposera dans un livre son intime conviction, celle de la complicité de Marie-Christine Van Kempen. Mais rien ne pourra plus briser le silence qui maintenant recouvre l’affaire aussi fermement qu’une chape de plomb.
photos : reflets.info