L’affaire Godard : 20 ans après, plus de questions que de réponses
Disparus en 1999 dans des circonstances toujours non-élucidées, le docteur Godard et sa famille sont au cœur de l’une des plus grandes énigmes judiciaires du XXe siècle.
Homme secret, praticien alternatif féru d’acupuncture et d’homéopathie, rebelle anti système en guerre contre l’ordre des médecins et les caisses d’assurances, trésorier d’un groupuscule contestataire rassemblant de petits commerçants, navigateur expérimenté rêvant peut-être de refaire sa vie incognito loin de la France… La personnalité du docteur Godard, 44 ans au moment de sa disparition, n’a cessé depuis lors de surprendre et de fasciner par sa complexité.
Aurait-il froidement prémédité l’assassinat de sa femme et de ses deux enfants, avant de se donner la mort ? Sa famille et lui auraient-ils au contraire été les victimes d’une série de règlements de comptes liés à cette caisse d’assurance alternative qui semblait brasser une énorme masse d’argent ? Quel est l’exact déroulé des faits au regard des quelques rares témoignages existants ? Et comment expliquer l’apparition continuelle d’indices semés jusqu’en 2008 par une personne non-identifiée ?
Autant d’incertitudes qui perdurent plus de deux décennies après les faits, faisant de la disparition de la famille Godard une affaire exceptionnelle à plus d’un titre.
Piège en haute mer
Le 1er septembre 1999, Yves Godard loue un voilier déclarant vouloir effectuer une croisière le menant jusqu’à Perros-Guirec avec un retour prévu cinq jours plus tard. Il quitte alors le port de Saint-Malo, accompagné de ses deux enfants, Camille, six ans, et Marius, quatre ans. Aucun témoignage ne mentionne la présence de sa femme, Marie-France.
Le lendemain, le voilier qui croise au moteur alors que le vent est pourtant favorable, est contrôlé par les douanes. Le comportement « fébrile » du docteur, selon l’un des douaniers monté à bord, n’entraîne néanmoins pas de contrôle plus poussé du navire.
L’inquiétude commence à poindre le 5 septembre, date à laquelle était initialement prévu le retour du voilier. Le même jour, l’annexe du bateau est retrouvée par un chalutier, dérivant au large de l’île de Batz, dans le Finistère. A son bord, un blouson et un chéquier appartenant au docteur Godard sont découverts. Une enquête pour « disparition inquiétante » est alors ouverte.
Premiers mystères dans l’affaire Godard
Les jours suivants, les découvertes se précipitent. Dans le van familial resté stationné au port de Saint-Malo, des traces de sang et des flacons de morphine accréditent l’hypothèse criminelle. Une perquisition au domicile des Godard, situé à Tilly-sur-Seulles, près de Caen, confirme les inquiétudes : un matelas et des murs maculés de sang entraînent l’ouverture d’une information judiciaire pour homicide volontaire ainsi que l’émission d’un mandat d’arrêt international à l’encontre du médecin.
Quelques jours plus tard, les analyses scientifiques indiquent que le sang retrouvé dans la maison ainsi qu’à l’intérieur du van appartient à Marie-France. Dans les semaines, les mois et même les années qui suivent, plusieurs effets personnels seront découverts soit flottant au large, soit éparpillés sur les côtes ou bien remontés par les filets des pêcheurs.
Faits troublants : la plupart de ces affaires ne semblent pas avoir séjourné longtemps dans l’eau, ni n’avoir suivi les courants dominants, laissant à penser qu’elles auraient été disséminées sciemment à certains endroits bien précis. Mais dans quel but et par qui ?
Plus de questions que de réponses
Le 6 juin 2000, un chalutier remonte un crâne qui, après analyses, s’avérera être celui de la petite Camille. Les signalements indiquant la présence du docteur Godard se multiplient aux quatre coins du monde, sans qu’aucun de ces témoignages ne s’avère fructueux.
Enfin, le 13 septembre 2006, au large de Roscoff, des ossements appartenant au docteur sont découverts, confirmant certes la mort du médecin mais éclaircissant nullement les circonstances de son décès. L’affaire, à plus d’un titre, se montre nébuleuse, suscitant dès son commencement l’intérêt du public et la perplexité des enquêteurs. Que s’est-il passé dans la maison de la famille Godard la veille du départ ? Qu’est-il advenu de Marie-France, la femme du médecin, ainsi que de Marius, le cadet de la famille, dont les corps n’auront jamais été retrouvés ?
Les enquêtes de voisinage se montrent contradictoires, certaines connaissances décrivant le couple comme étant fusionnel et particulièrement soudé. D’autres auraient entendu une violente dispute éclater la veille du départ en bateau. La situation financière de la famille plombée par plus de 2,5 millions de francs de dettes, suffirait-elle à accréditer une fuite volontaire qui aurait mal tournée ? Ou un suicide ?
Dans son non-lieu prononcé en septembre 2012 faute d’éléments suffisants, la justice n’exclut qu’une seule hypothèse, celle du naufrage. En effet Yves Godard, marin expérimenté, n’aurait pu être la victime d’un accident de mer à bord d’un voilier correctement équipé navigant dans des conditions météo optimales.
Le drame familial comme hypothèse privilégiée
Privilégiée faute de mieux, la thèse d’un drame familial se montre plausible par de nombreux éléments. Lors de la fouille effectuée au domicile du couple, les enquêteurs ont découvert le journal intime de Marie-France dans lequel elle décrivait une liaison, réelle ou fantasmée, avec son psychanalyste.
Yves Godard se serait-il donc vengé, préméditant le meurtre de sa femme, comme ses achats de produits nettoyants et de serpillières avant son départ semblent l’accréditer ? Ou s’agissait-il plutôt de couvrir le suicide de cette dernière dans une fuite en avant précipitée ? Les flacons de morphine retrouvés dans le Combi Volkswagen du docteur étaient-ils destinés à sa femme, ou bien a-t-il drogué ses enfants avant de les faire monter à bord ? Et qui est la personne qui, pendant des années, a conservé, puis disséminé des effets personnels du docteur sur les plages de Bretagne ? Aucune réponse, depuis le début de l’affaire, n’a été apportée à la moindre de ces questions.
L’hypothèse du règlement de compte
En 2011, la publication du livre L’assassinat du docteur Godard(1) apporte un nouvel éclairage sur l’affaire. En optant pour ce titre provocateur, le journaliste d’investigation Éric Lemasson dévoile son point de vue : le docteur Godard qui aurait profité d’investissements particulièrement lucratifs menés en marge de son syndicat, aurait manifesté le désir de récupérer ses fonds. Or, Yves Godard, comme l’affirme l’écrivain qui assure avoir eu accès à de nombreuses pièces déterminantes du dossier, aurait été victime d’une escroquerie à grande échelle. Furieux, il aurait menacé de révéler le pot aux roses, faisant de lui un homme à abattre.
En 2001, Christian Poucet, président dudit syndicat, a été froidement abattu dans son bureau par des assassins qui courent toujours. Les deux morts sont-elles liées ? C’est, du moins, ce que soutient Éric Lemasson au terme de son enquête. Ce qui ne fait, en somme, que rajouter encore un peu plus de mystère dans une affaire qui suscite toujours de nombreuses interrogations.
(1) paru aux éditions Les Arènes, 360 pages.
Sources des photos : rtl.fr / france3-regions.francetvinfo.fr / elle.fr