[Action de Groupe #1] Foncia : le début d’une longue série ?
Entrée en vigueur le 1er octobre 2014, l’action de groupe est l’une des mesures les plus emblématiques de la grande loi sur la consommation portée par Benoit Hamon, avant que celui-ci ne quitte le gouvernement.
Alors qu’il existe depuis plus d’un siècle aux Etats-Unis, le mécanisme était devenu une véritable chimère en droit français. Apparaissant et disparaissant au grès des majorités de droite comme de gauche, l’idée n’avait jamais gagné suffisamment en consistance pour qu’on ait pu croire à sa naissance prochaine… Jusqu’à cette fin d’année 2014.
Le 1er octobre 2014, encore, la puissante association de consommateurs Que Choisir annonce le lancement de la toute première action de groupe en droit français. Celle-ci vise la société FONCIA, l’un des plus grands administrateurs de bien français. Une action de groupe qui prépare sans doute le terrain pour de nombreuses autres à venir.
Faits et procédure de l’action de groupe contre Foncia
C’est le principe même d’une action de groupe : viser un petit manquement qui, multiplié par le nombre de victime, conduirait à un bénéfice frauduleux important. En l’espèce la société FONCIA facturait 2,30 euros par mois un service d’avis d’échéance à ses locataires. Illégal, considère l’association de consommateur, qui s’appuie sur la loi du 6 juillet 1989 sur les rapports locatifs.
En décembre 2013, l’UFC fait déjà condamner FONCIA sur ce fondement. Un cas particulier que l’association entend mettre à profit pour obtenir l’indemnisation de l’ensemble des locataires qui le souhaitent.
Le 17 mars 2014, la grande loi relative à la consommation, dite « loi Hamon », est promulguée. Elle sera publiée au journal officiel le lendemain. La loi prévoit la création en droit français d’un mécanisme d’action de groupe inspiré du modèle américain, tout en s’en éloignant substantiellement.
Le 24 septembre de la même année, le décret d’application (Décret n° 2014-1081 du 24 septembre 2014 relatif à l’action de groupe en matière de consommation) est publié. Il entre en vigueur le 1er octobre suivant. Le jour même, QUE CHOISIR annonce le lancement de son action de groupe.
Analyse de l’action de groupe contre Foncia
Il faudra attendre la décision du tribunal avant de pouvoir se prononcer vraiment sous l’angle du droit. La position de l’association QUE CHOISIR semble solide, mais la réponse de FONCIA est elle aussi convaincante. Le bailleur affirme respecter la réglementation ; il souligne que si la quittance de loyer doit être transmise gratuitement sur demande du locataire, il en va différemment d’un service facultatif d’avis d’échéance que les locataires pouvaient tout à fait refuser (ce qu’ils auraient été deux tiers à faire). Difficile, à ce stade, de trancher.
Au-delà du droit, tout l’intérêt de cette action de groupe réside dans son timing. En annonçant sa décision le jour même de la publication du décret, l’association QUE CHOISIR confirme son statut de première association de France. Peu importe, pour l’heure l’issue du procès, il s’agit pour l’association d’un grand coup médiatique qui lui offre une visibilité particulièrement importante. Il y a fort à parier que les équipes de communication de l’association ont été les premières à se saisir de ce dossier, conscients que le mécanisme créé par la loi Hamon était avant tout un mécanisme de communication.
C’est l’une des craintes que suscite ce nouveau dispositif. Quel risque prennent les associations à annoncer le lancement d’actions de groupes qui ne seraient pas tout à fait fondées juridiquement ? La réponse n’est pas évidente, et les détracteurs de la loi soulignaient les effets pervers qui pouvaient voir le jour : chantage au procès, atteinte à l’image quitte à perdre le procès…
En observateurs curieux, on en viendrait presque à espérer voire un jour une action de groupe retoquée par le juge pour pouvoir analyser les effets sur l’association comme sur le professionnel…
Voyage en terre inconnue
La première action de groupe. C’est ce qui la rend si importante à suivre et à disséquer. Le droit français n’a jamais bénéficié d’un tel mécanisme, qu’on peut voir évoluer depuis plus d’un siècle aux Etats-Unis. La décision du juge sera l’une des plus attendues de ces prochaines années, tant elle donnera sans doute le ton pour les actions de groupe à venir. Les avocats qui travaillent sur ce dossier ont donc une responsabilité considérable : celle d’ouvrir la voie, de soulever les arguments juridiques pertinents, qui seront par la suite systématiquement soulevés par leurs confrères.
Il faudra sans doute attendre longtemps avant de voir l’issue de cette action. Le temps de la justice est long, les recours possibles nombreux, et il pourrait bien se passer une dizaine d’années avant que la décision définitive ne soit rendue. Mais ce sont dix ans qui seront émaillés de décisions nouvelles et d’arguments inédits. Ce n’est pas tous les jours, en France, que l’on a la chance de voir naître et grandir une nouvelle procédure.