[Action de Groupe #2] Axa : une « class action » incertaine ?
Notre premier article consacré à la toute première action de groupe initiée en droit français (Que Choisir contre Foncia) ayant remporté un franc succès, nous lançons notre série consacrée au déploiement et à l’analyse des principales actions de groupe en France.
Axa est la deuxième grande société (comprendre « connue du grand public ») à faire l’objet d’une action de groupe. Celle-ci est initiée par une association moins connue que « Que Choisir » mais très active, la CLCV (Consommation Logement et Cadre de Vie), contre AXA mais également contre l’association AGIPI (Association Générale Interprofessionnelle de Prévoyance et d’Investissement).
AGIPI, AXA… Qui est en cause ?
C’est l’une des subtilités de ce dossier : Axa est la cible médiatique quasi-exclusive de la CLCV, qui capitalise ainsi sur la notoriété de son adversaire (c’est le jeu). Pourtant si Axa est bien en charge de la gestion du fond concerné, c’est à l’association AGIPI qu’il revient de prendre des décisions sur l’évolution du contrat.
L’AGIPI est une association d’assurés, qui négocie directement les clauses des contrats d’assurance pour le compte de ses adhérents. Le contrat CLER, visé par la procédure, est l’une des offres proposées par l’AGIPI en partenariat avec Axa.
Faits et procédure sur l’action de groupe contre Axa
Pendant des années, le contrat CLER (assurance vie) proposé par l’AGIPI en partenariat avec AXA offre un Taux Minimum Garanti (TMG) de 4,5%. En 1995, la transposition en droit français d’une directive européenne interdit un tel taux : il n’est plus possible de l’appliquer aux nouveaux contractants.
Le contrat CLER est un « contrat de groupe associatif », ce qui implique pour l’AGIPI que les mêmes clauses s’appliquent uniformément à l’ensemble des adhérents. L’association décide que les taux seront les mêmes pour tous, y compris ceux ayant souscrit le contrat avant 1995. C’est cette décision qui est 20 ans plus tard contestée par certains adhérents, soutenus par la CLCV.
A partir de 2004, en effet, les taux descendent pour la première fois sous la barre des 4,5%. Le 28 octobre 2014, l’association CLCV et son conseil, le cabinet Lecoq-Vallon, annoncent le lancement d’une Action de Groupe.
Analyse de l’action de groupe contre Axa
L’action de groupe déclarée contre Axa et AGIPI est d’une autre nature que celle qui vise FONCIA. Elle est infiniment plus délicate à aborder pour le juge, et ce dans une double mesure : l’existence d’un manquement par Axa et son partenaire est sérieusement débattue (I) et dans l’hypothèse où un tel manquement serait reconnu, les conséquences sur le futur du contrat CLER sont pour le moins complexes (II).
C’est en effet une somme de situations particulières (un règlement européen, sa transposition en droit français, la gestion de l’offre par une association d’épargnants) qui conduit à une situation que la CLCV va estimer être la conséquence d’un manquement du professionnel Axa. On laissera bien sûr au juge le soin de se prononcer, au regard de tous les éléments en sa possession. A étudier les seuls arguments déployés publiquement par la CLCV, on s’inquiète néanmoins de voir que l’association s’adosse, à l’appui de ses prétentions, sur des décisions précédentes qui ne tranchent en fait pas ces questions précises. Il est une certitude : une décision de justice sanctionne un cas particulier qui ne justifie pas nécessairement la constitution d’une action de groupe.
A supposer, toutefois, que le juge entende ces arguments, l’AGIPI et AXA se retrouvent enfermés dans une situation qui semble insoluble. Il leur est règlementairement impossible d’appliquer un taux minimum garanti de 4,5% aux nouveaux épargnants, mais ils ne peuvent non plus appliquer des taux différents aux membres du même contrat de groupe sans risquer également des poursuites. Une zone grise du droit qu’il serait passionnant de décortiquer si d’aventure on en arrivait là !
Le poids de l’avocat dans l’action de groupe contre Axa
Cette affaire AXA-AGIPI est indubitablement marquée par la forte présence médiatique de l’avocat qui accompagne la CLCV, la question du contrat CLER étant d’ailleurs un combat de longue date du cabinet Lecoq-Vallon. A tel point qu’on peut légitimement se demander si c’est la CLCV qui a fait appel à l’avocat, ou si c’est l’avocat qui a convaincu la CLCV de choisir ce cheval de bataille pour sa première action de groupe.
Il est normal qu’un avocat soit visible et audible au cours d’une procédure judiciaire, et on ne saurait reprocher à l’avocat de la CLCV de s’investir pleinement dans ce dossier. Il n’est néanmoins pas moins légitime de questionner le rôle de l’avocat dans le déroulé d’une action de groupe. En réservant l’opportunité d’agir aux seules associations de consommateurs, le législateur avait voulu éviter certaines dérives de la « Class Action » américaine, trop souvent accusée d’être d’avantage un tremplin pour les avocats qu’un mécanisme de défense des consommateurs.
La lecture des travaux parlementaires sont édifiants : tomber dans ce travers était l’une des plus grandes peurs de nos élus, suscitant d’ailleurs l’ire de certains avocats estimant que les écarter de l’action de groupe n’avait pas de sens.
Difficile de prendre position dans ce débat, tant l’avocat est un rouage essentiel de la machine judiciaire. A ce jour, moins d’une dizaine de personnes auraient rejoint l’action de groupe initiée contre AXA et AGIPI. De quoi laisser certains sous-entendre que la « class action » américaine a repris le pas sur l’action de groupe française. Pour le pire, ou pour le meilleur.